Pour la 1ère fois de son histoire, la Cour de cassation va filmer et diffuser (en léger différé) l’une de ses audiences le 10 mars 2023.
Cette première est la résultante de l’article 1er de la Loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.
Les objectifs poursuivis par la Cour de cassation sont de rendre visible la manière dont fonctionne la justice et de faire connaitre le processus qui aboutit aux décisions rendues par la Haute Cour.
Pour le moment, seules les audiences les plus solennelles seront diffusées (Assemblée plénière et Audiences de chambre mixte).
Mise à Jour (15/04) : Pour cette 1ère audience filmée, l’Assemblée plénière a rendu sa décision le 14 avril 2023 en donnant raison aux demandeurs au pourvoi : pour lire la décision, voir en fin d’article.

 

 

Par Jérôme Wedrychowski

 

 

Cette première audience filmée concerne une audience de l’Assemblée plénière qui examinera le sujet de l’indemnisation par le juge civil du préjudice subi par une personne après relaxe par le juge pénal du prévenu poursuivi pour une infraction involontaire.

 

 

© Cour de cassation – Extrait de la vidéo publiée sur le site

 

 

Lors de cette audience, l’introduction des observations de Me Louis BORÉ, Avocat au conseil, pose le débat et retient assurément l’attention :

 

Pour voir l’introduction de Me Louis BORÉ : Cliquez ici

 

© Cour de cassation – Extrait de la vidéo publiée sur le site

 

 

« Il existe 2 sortes de jurisprudences : les jurisprudences terrestres et les jurisprudences maritimes.

Les jurisprudences terrestres sont fixes, stables, précises.

On leur reproche, parfois, leur rigidité excessive, mais au moins les parties au procès savent à quoi s’en tenir.

Et puis, il y a aussi les jurisprudences maritimes … qui sont fluctuantes, mouvantes,

dont les contours sont moins précis.

Elles ont l’avantage de la souplesse, mais elles ont l’inconvénient de l’insécurité juridique… »

 

 

 

Pour visionner l’intégralité de l’audience (sur Youtube) :
Cliquez ici

 

 

Minutage de l’audience filmée

 

Explication du déroulement d’une audience : 00:25 – 06:05

Entrée de la Cour : 09:25 – 10:07

Propos liminaire du président de la formation de jugement :10:08 – 13:44

Rapport oral du conseiller rapporteur :13:45 – 25:39

Observations de l’avocat à la Cour de cassation en demande : 25:40 – 49:13

Observations de l’avocat à la Cour de cassation en défense : 49:14 – 01:08:25

Avis oral de l’avocat général de la Cour de cassation : 01:08:26 – 01:22:48

Question posée par la Cour : 01:22:49 – 01:31:00

 

 

La question posée à la Cour de cassation

 

La personne qui ne demande pas au juge pénal de statuer sur la réparation de son préjudice, dans l’hypothèse d’une relaxe du prévenu auquel est reproché une infraction non intentionnelle, conserve-t-elle le droit de soumettre sa demande d’indemnisation au juge civil, sans que lui soient opposés le principe de concentration des moyens et l’autorité de la chose jugée ?

 

 

L’indemnisation de la partie civile par la juridiction pénale

 

Lorsque le juge pénal relaxe un prévenu, il n’est pas compétent pour se prononcer sur les dommages-intérêts demandés par la partie civile.

 

Si la partie civile souhaite obtenir des dommages-intérêts, elle doit alors saisir le juge de la responsabilité civile.

 

Une exception est prévue par l’article 470-1 du code de procédure pénale.

 

Lorsque le juge pénal relaxe une personne à laquelle est reprochée une infraction non intentionnelle (blessures involontaires ou un homicide involontaire), il reste compétent, à la demande de la partie civile, pour se prononcer sur les dommages-intérêts.

 

Cette règle permet une indemnisation plus rapide en évitant d’engager une nouvelle procédure devant une juridiction civile.

 

 

Les faits de l’espèce et la procédure

 

Un sapeur-pompier en intervention conduisait un véhicule de secours routier percuté par un automobiliste. Le sapeur-pompier est décédé des suites de cet accident de la circulation.

 

La famille du sapeur-pompier, partie civile, a réclamé la réparation de son préjudice.

 

Le Tribunal correctionnel a jugé l’automobiliste coupable d’homicide involontaire et accordé à la famille du sapeur-pompier une indemnisation de son préjudice causé par ce délit.

 

La Cour d’appel a relaxé l’automobiliste et rejeté la demande de dommages-intérêts de la partie civile après avoir constaté que celle-ci n’invoquait pas devant elle l’article 470-1 du code de procédure pénale.

 

Les proches du sapeur-pompier se sont tournés vers la justice civile afin d’obtenir une indemnisation de la part de l’assureur de l’automobiliste.

 

Le juge civil a déclaré cette action irrecevable, considérant qu’ils auraient dû formuler leur demande de réparation dans le cadre de la procédure pénale.

 

La Cour d’appel a confirmé ce jugement.

 

La 2ème chambre civile de la Cour de cassation a cassé cette décision, décidant que le fait de ne pas demander au juge pénal des dommages-intérêts dans l’hypothèse d’une éventuelle relaxe du prévenu ne privait pas la partie civile du droit de saisir ultérieurement le juge civil en réparation de son préjudice.

 

Selon la Cour de cassation, cette nouvelle demande soumise par la famille au juge civil ne méconnaît ni le principe de « concentration des moyens » ni le principe de l’« autorité de chose jugée ».

 

La Cour d’appel de renvoi n’a pas suivi la position de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation : se référant au principe de l’autorité de la chose jugée, elle a déclaré irrecevable la demande d’indemnisation formulée par la famille du sapeur-pompier.

 

Cette résistance des juges du fond a conduit la Cour de cassation à examiner l’affaire en Assemblée plénière.

 

 

La décision de l’Assemblée Plénière du 14 avril 2023

 

L’Assemblée plénière donne raison aux demandeurs au pourvoi en considérant que la personne qui ne demande pas au juge pénal de statuer sur la réparation de son préjudice, dans l’hypothèse d’une relaxe du prévenu auquel est reproché une infraction non intentionnelle, conserve le droit de soumettre sa demande d’indemnisation au juge civil.

 

La Cour précise la portée de la solution en distinguant les deux hypothèses qui peuvent se présenter :

 

  • si la partie civile n’a formé aucune demande d’indemnisation de son préjudice devant le juge pénal pour le cas où la personne poursuivie serait relaxée, alors elle peut soumettre celle-ci devant le juge civil ;

 

  • si, au contraire, elle a formé sa demande devant le juge pénal, comme le lui permet l’article 470-1 du code de procédure pénale, alors elle doit, en application du principe de concentration des moyens, présenter l’ensemble des arguments fondant sa demande. En effet, elle ne pourra plus, ensuite, saisir le juge civil de la même demande.

 

Par conséquent, la décision de la cour d’appel qui a déclaré irrecevable la demande d’indemnisation formulée par la famille du sapeur-pompier est censurée.

 

Une autre cour d’appel devra se prononcer à nouveau sur cette demande.

 

Pour lire la décision de l’Assemblée plénière du 14 avril 2023 : cliquez ici