Par une décision en date du 5 août 2021, le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire.
Il a toutefois censuré les dispositions organisant la rupture anticipée des CDD et le placement automatique à l’isolement.
En outre, le contrôle du passe sanitaire par les forces de l’ordre ou les exploitants des lieux, établissements, services ou évènements est jugé conforme à la Constitution, avec toutefois une réserve d’interprétation.
Revue des points principaux de cette décision très attendue.

 

 

Par Hugues Wedrychowski

 

 

Par sa décision n°2021-824 DC du 5 août 2021, qui compte 125 paragraphes, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur plusieurs dispositions de la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, dont il avait été saisi par le Premier ministre et par un recours émanant de plus de 60 députés, ainsi que par deux autres recours émanant, chacun, de plus de 60 sénateurs.

 

Avant de passer au crible la loi, le Conseil constitutionnel rappelle dans sa décision qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre :

 

  • l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé

et

  • le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis.

 

Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d’aller et de venir, le droit au respect de la vie privée, ainsi que le droit d’expression collective des idées et des opinions.

 

Sur cette base essentielle, le Conseil constitutionnel a décidé que :

 

 

Le passe sanitaire est conforme à la Constitution

 

Sont notamment validées :

 

1°/       Les dispositions subordonnant l’accès à certains lieux, établissements, services ou évènement à la présentation d’un passe sanitaire, notamment certains transports publics, restaurants, bars et terrasses, grands magasins et centres commerciaux.

 

Le Conseil constitutionnel juge en effet que, en limitant l’accès à certains lieux, les dispositions contestées portent atteinte à la liberté d’aller et de venir et, en ce qu’elles peuvent restreindre le droit de se réunir, au droit d’expression collective des idées et des opinions, mais il considère que le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.

 

En effet, dans la mesure où ces dispositions :

 

  • sont limitées dans le temps (15 novembre 2021) et à des lieux, à des évènements et à des personnes déterminées,
  • n’imposent pas d’obligation de vaccination,

et

  • qu’il est toujours possible de présenter un test négatif,

 

le Conseil décide qu’elles opèrent une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles susvisées (Décision, point 48) ;

 

 

2°/       Les obligations de contrôle imposées aux exploitants et aux professionnels et les sanctions encourues par eux en cas de méconnaissance de ces obligations.

 

Le Conseil constitutionnel considère en particulier que, s’il en résulte pour eux une charge supplémentaire, la vérification de la situation de chaque client peut être mise en œuvre en un temps bref et que, au regard de la nature du comportement réprimé, les peines instituées ne sont pas manifestement disproportionnées.

 

Le Conseil émet toutefois une réserve d’interprétation : ce contrôle ne peut être réalisé que par les forces de l’ordre ou les exploitants des lieux, établissements, services ou événements concernés et sa mise en œuvre ne saurait s’opérer qu’en se fondant sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes (Décision, point 54).

 

 

L’obligation vaccinale imposée aux personnels des secteurs médico-sociaux est également conforme à la Constitution

 

Le Conseil constitutionnel valide également les dispositions relatives à l’obligation vaccinale prévue pour les personnels des secteurs médico-sociaux (Article 14 de la loi).

 

Retenant que ces personnels peuvent jusqu’au 14 septembre 2021 continuer d’exercer leur activité sous réserve de présenter soit un certificat de statut vaccinal, soit un certificat de rétablissement, soit un certificat médical de contre-indication à la vaccination, le Conseil considère que le législateur, qui a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, n’a porté aucune atteinte au droit à l’emploi ou à la liberté d’entreprendre (Décision, points 122 et suivants).

 

 

La rupture des CDD des salariés refusant de présenter un passe sanitaire est contraire à la Constitution

 

En revanche, le Conseil constitutionnel juge contraire au principe d’égalité devant la loi la disposition de la loi prévoyant que le CDD ou le contrat de mission d’un salarié qui ne présente pas un « passe sanitaire » peut être rompu avant son terme, à l’initiative de l’employeur (Article 1, 19ème alinéa du b./ du 1°/ du paragraphe I de la loi adoptée).

 

Le Conseil relève en effet que dans ses travaux préparatoires le législateur a entendu exclure un tel motif de rupture pour les salariés en CDI.

 

Si les salariés sous CDI et sous contrats précaires sont évidemment placés dans des situations différentes, il reste que l’obligation de présentation du passe sanitaire vise à limiter la propagation de l’épidémie et que tous ces salariés sont en réalité exposés au même risque de contamination.

 

Le Conseil en conclut qu’en instaurant un motif de rupture d’un CDD pour défaut de présentation d’un passe sanitaire, le législateur a institué une différence de traitement entre les salariés selon la nature de leurs contrats de travail qui est sans lien avec l’objectif poursuivi de protection de la santé.

 

L’employeur pourra uniquement, comme pour les salariés en CDI, suspendre le CDD en cours ainsi que la rémunération, les dispositions l’y autorisant n’ayant pas été censurées (Décision, points 81 et suivants).

 

 

Le placement automatique en isolement des personnes testées positives est également contraire à la Constitution

 

Le Conseil censure l’article 9 de la loi qui crée une mesure de placement en isolement applicable de plein droit aux personnes faisant l’objet d’un test de dépistage positif à la Covid-19 (Décision, points 108 et suivants.).

 

Le Conseil rappelle tout d’abord que, aux termes de l’article 66 de la Constitution, nul ne peut être arbitrairement détenu et que l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi.

 

Il juge ensuite que le placement en isolement s’appliquant sauf entre 10 et 12 heures, cas d’urgence ou pour des déplacements strictement indispensables, et sous peine de sanction pénale, constitue une privation de liberté.

 

S’il reconnaît que le législateur a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, il relève que le placement en isolement a lieu sans qu’aucune appréciation ne soit portée sur la situation personnelle de l’intéressé.

 

Or,

 

  • D’une part, cette obligation n’est portée à sa connaissance qu’au seul moyen des informations qui lui sont communiquées au moment de la réalisation du test,

 

  • D’autre part, l’objectif poursuivi par le placement en isolement n’est pas de nature à justifier qu’une telle mesure privative de liberté s’applique sans décision individuelle fondée sur une appréciation de l’autorité administrative ou judiciaire.

 

Le Conseil en conclut que les dispositions contestées ne garantissent pas que la mesure privative de liberté qu’elles instituent soit nécessaire, adaptée et proportionnée.

 

 

Pour prendre connaissance du communiqué de presse du Conseil constitutionnel sur sa décision du 5 août 2021 : cliquez ici