Le vote par correspondance des copropriétaires doit, sous peine de nullité de la résolution adoptée, préserver le droit des copropriétaires d’exprimer en conscience leur voix au cours d’un second vote effectif.
Par une décision inédite prononcée le 05 mai 2021, le Tribunal Judiciaire d’ORLEANS vient de sanctionner pour la première fois un syndicat des copropriétaires qui, dans le cadre d’une assemblée générale des copropriétaires avec vote par correspondance, avait organisé en application de l’article 25-1 de la Loi du 10 juillet 1965 un second scrutin fondé sur les intentions de vote du premier.
En procédant ainsi, le droit de vote des copropriétaires a été violé et les résolutions adoptées grâce à ce second scrutin doivent être annulées.

 

 

 

 

 

 

Par Ladislas Wedrychowski

 

 

Les faits et la procédure

 

Une convocation à l’assemblée générale des copropriétaires de l’immeuble est adressée à l’ensemble des copropriétaires à laquelle est jointe l’ordre du jour et un formulaire de vote par correspondance accompagné d’un seul et unique tableau des intentions de votes sur les 22 résolutions composant l’ordre du jour.

 

Il est indiqué dans le courrier d’accompagnement de cette convocation que, compte tenu du contexte sanitaire actuel lié à la COVID-19, l’assemblée générale de la copropriété s’effectuera exclusivement par vote par correspondance et en la seule présence des membres du conseil syndical.

 

Dix résolutions sur les vingt-deux sont soumises à un vote à la majorité des voix de tous les copropriétaires (Article 25 de la loi 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis).

 

Quelques jours plus tard, le Syndic notifie à l’ensemble des copropriétaires le procès-verbal de l’assemblée générale.

 

Il ressort du procès-verbal que deux résolutions, qui n’avaient pas pu être adoptées à la majorité prévue à l’article 25 précité, avaient finalement été adoptées à la suite d’un 2ème scrutin organisé immédiatement.

 

Il est indiqué pour chacune de ces résolutions que « l’assemblée procède au second tour de vote à la majorité art. 24 » puis après le détail des votes, « cette résolution est adoptée à la majorité art. 24 ».

 

A réception du procès-verbal de l’assemblée générale, un copropriétaire se manifeste auprès du Syndic afin de lui faire part de son incompréhension par rapport à ce deuxième scrutin organisé immédiatement après, alors qu’il n’avait pu exprimer à travers son vote par correspondance son intention de vote que pour le premier scrutin.

 

Le Syndic n’y voit aucune difficulté et lui indique que « le vote en seconde lecture immédiate est autorisé par la réglementation selon l’ordonnance du 30 octobre 2019 et son décret d’application du 2 juillet 2020 » et que sur les conditions de vote, la réglementation avait été respecté.

 

Insatisfait de la réponse du Syndic, ce copropriétaire saisit dans le cadre d’une procédure à jour fixe le Tribunal Judiciaire d’ORLEANS pour voir annuler les deux résolutions litigieuses adoptées en violation des dispositions des articles 17-1A, 24, 25 et 25-1 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis.

 

 

La décision inédite du Tribunal Judiciaire d’ORLEANS

 

Par jugement en date du 5 mai 2021, le Tribunal Judiciaire d’ORLEANS décide :

 


 

Force est donc de constater qu’en procédant à un second scrutin fondé sur les intentions de vote du premier; sans qu’il soit donné possibilité aux copropriétaires de connaître les résultats du premier, le syndicat a non pas fait procéder à un second vote, mais repris les votes du premier, privant ainsi les copropriétaires de leur droit d’évoluer dans la réflexion et de changer leur vote sur ces résolutions entre les deux tours, et partant d’exprimer librement leur intention de vote à l’occasion d’un nouveau scrutin

 

Dès lors, en empêchant les copropriétaires d’exprimer en conscience leur voix au cours d’un réel second vote, le syndicat a agi en violation du droit de vote de chacun des copropriétaires.

 


 

 

Le Tribunal ajoute que l’absence d’un deuxième vote effectif :

 

  • ne constitue pas une irrégularité formelle du procès-verbal ou de la feuille de présence n’entrainant pas la nullité de l’assemblée générale conformément à l’article 17-1 du décret du 17 mars 1967

 

  • mais doit, au contraire, entraîner l’annulation des résolutions adoptées sans ce deuxième scrutin.

 

 

Les conséquences de cette décision

 

Il n’est pas contesté que l’article 25-1 dispose que c’est « la même assemblée » qui doit procéder « immédiatement à un second vote ».

 

Néanmoins, cette disposition de la loi du 10 juillet 1965 :

 

  • n’est pas compatible avec une assemblée générale de copropriétaires intégralement soumise à un vote par correspondance,

 

  • qui n’ont exprimé qu’une seule et unique intention de vote pour le premier tour.

 

Ce jugement ouvre donc la voie à une nécessaire et urgente modification du modèle du formulaire de vote par correspondance fixé par arrêté du 2 juillet 2020.

 

En effet, le Législateur et le Gouvernement ont oublié de modifier cette disposition de la loi du 10 juillet 1965 pour la mettre en conformité avec le vote par correspondance ou ont cru, à tort visiblement, que les syndics procèderaient eux-mêmes à ces adaptions en retenant une des solutions suivantes :

 

  • Soit en adressant à chacun des copropriétaires un deuxième tableau des intentions de votes en précisant bien sur ce tableau que celui-ci ne servirait qu’en cas de nouveau vote tel que prévu à l’article 25-1 de la loi précitée. Cela a d’ailleurs été suggéré dans la Préconisation n°11 du GRECCO du 16 décembre 2020 (Groupe de Recherche sur la Copropriété dont les propositions destinées à faciliter l’interprétation des textes du droit de la copropriété, à suggérer des pratiques professionnelles et à susciter des modifications législatives et règlementaires) : « pour ne pas priver le copropriétaire votant par correspondance du droit d’exprimer un vote différent lors du second vote, comme peuvent le faire les copropriétaires qui participent à l’assemblée, il est recommandé d’inscrire deux fois la question, une fois à la majorité de l’article 25, et une seconde fois à la majorité de l’article 25-1 ».

 

  • soit en reportant à une autre assemblée générale extraordinaire composée des mêmes copropriétaires présents, le deuxième vote des résolutions non adoptées à la majorité définie par la loi en leur adressant préalablement un nouveau formulaire de vote afin qu’ils puissent y exprimer une nouvelle intention lors d’une deuxième vote. Ceci pour leur laisser la liberté de voter, pourquoi pas, différemment. Il n’est en effet pas possible de préjuger du vote qui serait exprimé par le copropriétaire votant par correspondance en cas de second tour puisque sa décision pourrait être conditionnée par les résultats du premier tour.

 

Pour télécharger et lire le jugement cliquez sur :  Jugement TJ ORLEANS_Coproprieté_5 mai 2021