La Chambre criminelle décide dans un arrêt du 17 mai 2022 (N°21-86.131) que le Parquet ne peut pas soumettre à l’homologation une 2ème proposition de peine après l’échec d’une 1ère Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité (CRPC).
Dans cette décision, la Cour de cassation rappelle également qu’aucun recours n’est prévu contre le refus d’homologation d’une CRPC.
Un pourvoi en cassation reste cependant possible en présence d’un risque d’excès de pouvoir qui relève du contrôle de la Cour de cassation.
En l’espèce, la Chambre criminelle a écarté tout excès de pouvoir du Juge délégué ayant déclaré irrecevable la seconde requête en homologation d’une proposition de peine présentée dans le cadre de la même procédure.

 

Par Jérôme Wedrychowski

 

 

La procédure de Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité (CRPC), couramment appelée le « plaider coupable », est une procédure pénale qui permet de juger rapidement l’auteur d’une infraction.

 

Elle est appliquée pour certains délits à la demande du Procureur de la République qui propose une peine.

 

Si la peine est acceptée par l’auteur des faits, l’affaire est transmise à un Juge délégué du Tribunal Judiciaire pour homologation, la victime étant informée de cette procédure et pouvant alors se constituer partie civile et demander son indemnisation.

 

 

Les faits

 

Dans le cadre d’une procédure concernant des faits blanchiment, le Procureur de la République financier a décidé de recourir à la CRPC.

 

Par ordonnance du 6 juillet 2021, le Juge délégué a refusé d’homologuer la peine proposée.

 

Quelques mois après, dans le cadre de la même procédure, par requête du 12 octobre 2021, le Procureur de la République a de nouveau saisi le Juge délégué d’une autre proposition de peine.

 

Cette requête ayant été déclarée irrecevable par le Juge délégué, le Procureur de la République financier a formé un pourvoi en cassation contre ladite ordonnance de refus d’homologation.

 

 

La position de la Cour de cassation

 

Il est acquis qu’aucun texte n’envisage la possibilité d’un recours contre une ordonnance de refus d’homologation dans le cadre d’une procédure de CRPC.

 

La Chambre criminelle a toutefois déjà retenu la possibilité de la recevabilité d’un pourvoi contre une telle ordonnance, dans l’hypothèse où il ressortirait de l’examen de la décision un risque d’excès de pouvoir du juge homologateur puisque ce contrôle relève de la compétence de la Cour de cassation (Crim, 30 mars 2021, N°20-86.358).

 

La Cour de cassation s’était ainsi fondée sur la réserve d’interprétation énoncée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 mars 2004 (n° 2004-492 DC, cons. n°107) selon laquelle le principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement commande que le président du tribunal judiciaire ou son délégué exerce, lors de l’audience d’homologation de la peine proposée, son plein office de juge du fond.

 

Sur cette base, la Chambre criminelle a donc examiné la question de l’existence d’un excès de pouvoir pour retenir ou non la recevabilité du pourvoi formé par le Parquet contre l’ordonnance de refus du Juge délégué.

 

L’analyse de la Cour de cassation est la suivante :

 


 

5. Aucun texte n’envisageant la possibilité d’un recours contre l’ordonnance de refus d’homologation des peines proposées par le procureur de la République dans le cadre d’une procédure de CRPC, un pourvoi en cassation contre une telle décision n’est possible que si son examen fait apparaître un risque d’excès de pouvoir relevant du contrôle de la Cour de cassation.

6. Il se déduit de l’article 495-12 du code de procédure pénale, interprété à la lumière des travaux parlementaires relatifs aux lois n° 2004-204 du 9 mars 2004 et n° 2018-898 du 23 octobre 2018, qu’une nouvelle proposition de peine ne saurait autoriser, après un refus d’homologation, la mise en œuvre d’une autre comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

7. Ainsi, en déclarant irrecevable la seconde requête en homologation au motif que la première proposition de peine avait fait l’objet d’un refus d’homologation, le juge délégué n’a pas excédé ses pouvoirs.

 


 

Ainsi, au visa de l’article 495-12 du Code de procédure pénale, interprêté à la lumière des travaux parlementaires relatifs aux lois n°2004-204 du 9 mars 2004 et n°2018-898 du 23 octobre 2018, la Cour de cassation a jugé qu’un premier refus d’homologation ne saurait autoriser une nouvelle proposition de peine par la mise en œuvre d’une autre CRPC.

 

L’article 495-12 prévoit que lorsque la CRPC ne peut aboutir (en cas de refus d’acceptation de l’intéressé ou de refus d’homologation du juge), le Procureur de la République doit saisir, sauf élément nouveau, le Tribunal Correctionnel, selon l’une des procédures prévues par l‘article 388 du code de procédure pénale, ou requérir l’ouverture d’une information.

 

Or, la CRPC ne figure pas parmi les procédures mentionnées à l’article 388, à savoir :

  • la comparution volontaire des parties,
  • la citation directe,
  • la convocation par procès-verbal,
  • la comparution immédiate,
  • le renvoi ordonné par la juridiction d’instruction.

 

Dès lors, le procureur de la République financier ne pouvait en l’espèce saisir le juge homologateur d’une nouvelle proposition de peine après l’échec d’une première CRPC.

 

Dès lors, la Cour retient qu’en déclarant irrecevable la seconde requête en homologation, le juge délégué n’a pas excédé ses pouvoirs.

 

Il sera également retenu que la Cour de cassation, lorsqu’elle veut faire oeuvre de pédagogie, peut examiner « au fond » un pourvoi formé hors délai : en l’espèce, le Parquet avait régularisé son pourvoi plus de 5 jours francs après le prononcé de l’ordonnance querellée.

 

La Chambre criminelle rappelle ainsi dans son dernier attendu que le pourvoi était au surplus irrecevable, car tardif !

 

 

Rappel de la réglementation applicable à la CRPC

 

La procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, dite CRPC, a été instaurée par loi n°2004-204 du 9 mars 2004 (modifiée notamment en 2011, 2015, 2018 et 2019).

 

Il s’agit d’une procédure de jugement simple et rapide prévue par les articles 495-7 à 495-16 du Code de procédure pénale, qui peut être mise en œuvre à certaines conditions.

 

Elle est directement inspirée du plaider coupable au Canada et du plea bargaining aux États-Unis et en Angleterre.

 

La procédure de CRPC peut être mise en œuvre pour tous les délits commis par des personnes majeures (à l’exception des délits de presse, de certaines atteintes graves aux personnes et des délits politiques : art. 495-16).

 

A l’issue d’une enquête préliminaire la procédure de CRPC est mise en œuvre par décision du Parquet ou sur demande de l’intéressé ou de son avocat (le Procureur peut toujours décider de ne pas donner suite à cette demande).

 

La CRPC peut également intervenir à l’issue d’une information judiciaire. Dans ce cas, le juge d’instruction renvoi le dossier au procureur afin de mettre en œuvre la CRPC.

 

La personne mise en cause doit « reconnaitre les faits qui lui sont reprochés ».

 

Le parquet peut également exiger d’autres conditions (régularisation d’une situation, indemnisation de la partie civile…).

 

L’intéressé doit être assisté par un avocat au moment de la reconnaissance des faits, de la proposition de peine, de l’acceptation des peines, et de l’audition par le Juge délégué du tribunal aux fins d’homologation.

 

 

1./       Première phase : Proposition de peine par le procureur (Article 495-8)

 

A l’issue de la phase contradictoire et des échanges avec la défense, le parquet reçoit la personne avec son avocat, vérifie qu’elle reconnait les faits et lui propose une peine.

 

La personne peut demander un délai de réflexion de 10 jours, accepter ou refuser la peine proposée.

 

  • Critère de détermination de la peine : La proposition de peine repose sur certains critères objectifs, notamment : la gravité des faits, le montant du préjudice, la durée de l’infraction, la sophistication de la fraude, la personnalité du mis en cause (antécédents judiciaires, personnalité exposée, profession règlementée…), l’indemnisation préalable de la victime…

 

  • Typologie des peines proposées : Le Procureur peut proposer à la personne d’exécuter une ou plusieurs des peines principales ou complémentaires encourues. Si une peine d’emprisonnement est proposée, sa durée ne peut pas être supérieure à trois ans, ni excéder la moitié de la peine d’emprisonnement encourue.

Les peines peuvent être assorties du sursis. Les peines complémentaires (confiscation, interdiction de gérer, interdiction d’exercer une profession inéligibilité) dépendent de la nature de l’infraction et de la personnalité du prévenu.

 

  • Refus de peine : Si l’intéressé refuse la peine proposée, le Procureur saisit le Tribunal correctionnel, sauf élément nouveau.

 

 

2./       Deuxième phase : l’audience d’homologation (Article 495-9)

 

Lorsque la personne accepte la peine proposée par le Procureur, elle comparait devant le Président du Tribunal judiciaire ou son Délégué, saisi par une requête en homologation.

 

L’audience peut avoir lieu le jour même, ou dans un délai d’au plus un mois si l’intéressé n’est pas détenu. Le juge doit statuer le jour de l’audience, par ordonnance motivée et aucun renvoi n’est possible.

 

Le Juge homologateur ne peut pas requalifier les faits, ni modifier la peine proposée.

 

  • Les suites de l’homologation : l’ordonnance a les effets d’un jugement de condamnation et est immédiatement exécutoire. La personne condamnée peut interjeter appel de l’ordonnance d’homologation dans un délai de dix jours.

 

  • Place de la victime : La victime est informée de la mise en œuvre de la procédure de CRPC et invitée à se présenter à l’audience d’homologation. Le Président doit vérifier que la victime a bien été avisée.

Le Juge statue par ordonnance sur les intérêts civils. La partie civile peut interjeter appel de cette ordonnance.

 

  • Le refus d’homologation : Si le Président estime que la nature des faits, la personnalité de l’intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient une audience correctionnelle ordinaire, ou lorsque les déclarations de la victime apportent un éclairage nouveau sur les conditions de commission de l’infraction ou la personnalité de son auteur, il peut refuser d’homologuer la peine.

Dans ce cas, le Procureur de la République saisit le Tribunal correctionnel, sauf élément nouveau, et remet à l’intéressé une convocation pour une audience qui aura lieu au plus tôt dix jours après.

 

  • Échec de la CRPC : en cas d’échec de la CRPC par refus de la peine ou refus d’homologation, le procès-verbal ne peut pas être transmis à la juridiction d’instruction ou de jugement, et ni le ministère public ni les parties ne peuvent faire état devant cette juridiction des déclarations faites ou des documents remis au cours de la procédure.

 

Statistiques : en 2019, les ordonnances d’homologation de CRPC représentent 15 % des décisions rendues

par les Tribunaux correctionnels 

 

 

Pour lire l’arrêt sur le site de la Cour de cassation : cliquez ici