Le salarié d’un État membre de l’Union européenne qui exécute temporairement son travail dans un autre État membre reste affilié à la sécurité sociale de l’État où est établi son employeur, ce dont atteste un formulaire dit « A1 ».
Le maintien de cette affiliation peut favoriser l’organisation d’une fraude, notamment celle consistant pour un employeur exerçant une activité stable et permanente en France à s’établir fictivement dans un autre État de l’Union européenne pour recruter des salariés dans cet État où les charges sont moindres et les faire ensuite travailler en France.
Dans une série d’arrêts du 12 janvier 2021, la Cour de cassation énonce les conditions dans lesquelles des poursuites peuvent être engagées et se prononce sur le champ de la force probante des Formulaires A1.

 

  

Par Hugues Wedrychowski et Philippe Suard

 

 

Dans 3 arrêts en date du 12 janvier 2021 (N°17-82.553, N°18-86.709 et N°18-86.757), la Cour de cassation décide que l’existence d’un Formulaire A1 ne fait pas obstacle à une condamnation pour travail dissimulé dans deux hypothèses :

 

    • En cas de dissimulation d’emploi par défaut de déclaration préalable à l’embauche,
    • En cas de dissimulation d’activité pour défaut d’inscription au Registre de Commerce et des Sociétés.

 

En revanche, pour le cas de défaut de déclaration auprès des organismes de protection sociale, le Formulaire A1 est opposable au Juge pénal qui ne pas prononcer de sanction, sauf formulaire frauduleux.

 

 

Les faits

 

Dans les espèces soumises à la Cour de cassation, plusieurs Sociétés ont fait l’objet de poursuites pour recours au travail dissimulé pour avoir bénéficié en France de l’emploi de travailleurs détachés par l’intermédiaire d’entreprises basées dans d’autres pays de l’Union européenne.

 

L’une des décisions concerne l’affaire de l’EPR de FLAMANVILLE et la Société Bouygues Travaux Publics, les faits reprochés à l’employeur étant les suivants :

 


 

    1. La société Bouygues travaux publics (la société Bouygues), ayant obtenu l’attribution de marchés pour la construction, à Flamanville, d’un réacteur nucléaire de nouvelle génération, a constitué pour leur exécution, avec deux autres entreprises, une société en participation, laquelle a sous-traité à un groupement d’intérêt économique composé, notamment, de la société Welbond armatures (la société Welbond).

 

    1. Ce groupement a eu recours à d’autres sous-traitants, dont la société Elco construct Bucarest (la société Elco), et à une société de travail temporaire Atlanco limited (la société Atlanco).

 

    1. Après une dénonciation sur les conditions d’hébergement de travailleurs étrangers, un mouvement de grève de salariés intérimaires polonais portant sur l’absence ou l’insuffisance de couverture sociale en cas d’accident, ainsi que la révélation de plus d’une centaine d’accidents du travail non déclarés, et l’enquête menée par l’Autorité de sûreté nucléaire, puis par les services de police, les sociétés Bouygues, Welbond et Elco ont été poursuivies pour des faits compris entre juin 2008 et octobre 2012, notamment, des chefs susénoncés devant le tribunal correctionnel.

 

    1. La société Elco a été notamment déclarée coupable du chef de travail dissimulé par dissimulation de salariés, faute d’avoir procédé aux déclarations préalables à l’embauche et aux déclarations aux organismes de protection sociale appropriées.

 

    1. La société Bouygues et la société Welbond ont été notamment déclarées coupables des chefs de recours aux services de la société Atlanco, entreprise de travail intérimaire ayant omis de s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés et ayant dissimulé l’emploi de salariés, faute d’avoir procédé aux déclarations préalables à l’embauche de salariés ainsi qu’aux déclarations relatives aux organismes de protection sociale appropriées.

 


 

 

La position de la Cour de cassation

 

Pour répondre aux différents moyens des pourvois, la Chambre criminelle adopte un raisonnement qui se situe dans la suite logique de l’arrêt Bouygues de la CJUE du 14 mai 2020 (aff. C-17/19) qui décide que les Formulaires A1 ne s’imposent aux juridictions de l’État d’accueil des salariés détachés qu’en matière de sécurité sociale.

 

Dans cette décision, la CJUE a précisé qu’il appartient à la juridiction nationale d’analyser la portée de la déclaration préalable à l’embauche afin de savoir si elle relève effectivement de la sécurité sociale au sens des règlements européens ou si elle relève de logiques qui lui sont partiellement ou totalement extérieures.

 

En effet, la présomption de régularité de l’affiliation à un régime de sécurité sociale n’implique pas une présomption de régularité du détachement en lui-même au regard de la réglementation du travail.

 

Sur cette base, la Chambre criminelle a jugé que :

 

Lorsque les poursuites pour travail dissimulé n’ont pas seulement été engagées pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, mais également pour défaut de déclaration préalable à l’embauche, laquelle vise, au moins en partie, à garantir l’efficacité des contrôles opérés par les autorités nationales compétentes afin d’assurer le respect des conditions d’emploi et de travail imposées par le droit du travail, l’existence de Formulaires A1 ne fait pas obstacle à une condamnation du chef de travail dissimulé.

 

De même, le délit de travail dissimulé tant par dissimulation de salariés que par dissimulation d’activité peut être établi, nonobstant la production de Formulaires A1, lorsque les obligations déclaratives qui ont été omises ne sont pas seulement celles afférentes aux organismes de protection sociale (article L. 8221-3, 2°, du Code du travail) ou aux salaires ou aux cotisations sociales (article L.8221-5, 3°, du Code du travail).

 

En effet, pour la Cour de cassation, le délit de travail dissimulé est défini de façon unitaire par l’article L.8221-1, 1°, du Code du travail.

 

Pour autant, dans le cas où des formulaires A1 sont opposés, la déclaration de culpabilité du chef de travail dissimulé ne peut avoir pour effet d’entraîner l’affiliation des travailleurs concernés à l’une ou à l’autre branche du régime de sécurité sociale, ainsi qu’il résulte l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 mai 2020 précité (§ 53).

 

En effet, en vertu des principes de coopération loyale et de confiance mutuelle, les Formulaires A1 délivrés par l’institution compétente d’un État membre créent une présomption de régularité de l’affiliation du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de cet État et s’imposent à l’institution compétente et aux juridictions de l’État membre dans lequel ce travailleur effectue un travail, même lorsqu’il est constaté par celles-ci que les conditions de l’activité du travailleur concerné n’entrent manifestement pas dans les cas prévus par le droit communautaire autorisant leur délivrance (CJUE A-Rosa Flussschiff GmbH, C-620/15).

 

Les certificats ne peuvent être écartés, en matière de sécurité sociale, que dans le cas où l’autorité qui les a émis procède à leur retrait ou, en l’absence de retrait, lorsque la fraude peut être caractérisée dans les conditions fixées par la Cour de justice de l’Union européenne dans ses arrêts du 6 février 2018 (CJUE Ömer Altun, C-359/16) et du 2 avril 2020 (CJUE Vueling Airlines SA, C-370/17 et C-37/18).

 

 

Rappel de la réglementation applicable

 

L’incrimination de travail dissimulé recouvre 2 situations distinctes :

 

  • la dissimulation d’activité: cette infraction est constituée en cas :

 

et

 

Les employeurs visés par ces infractions sont non seulement les auteurs immédiats du délit de travail dissimulé, mais également ceux qui ont recours en toute connaissance de cause, directement ou par personne interposée, aux services de ceux qui exercent un travail dissimulé.