La Cour de cassation, par trois décisions en date du 15 février 2022, statuant sur les affaires des attentats de Nice (l’attaque au camion sur la promenade des Anglais) et de Marseille (l’attaque au couteau à la gare Saint-Charles) a décidé d’adopter une conception plus large de la notion de partie civile pour les victimes décidant de se constituer dès le stade de l’instruction.
La Chambre criminelle prend enfin en compte les spécificités propres aux attentats terroristes pour étendre la possibilité pour les victimes « indirectes » de faire valoir leur droit pendant la phase d’instruction.

 

 

 

 

 

 

 

Par Ladislas Wedrychowski

 

 

Les faits et la position des Chambres de l’Instruction sur la notion de partie civile

 

En 2016, à l’issue des festivités du 14 juillet, un camion fait irruption sur la Promenade des Anglais à NICE, tuant 86 personnes et en blessant plusieurs centaines, après avoir parcouru deux kilomètres.

 

La Chambre de l’instruction n’a pas reconnu la qualité de partie civile à :

  • La personne qui a poursuivi le camion afin de tenter de neutraliser le conducteur ;
  • La personne qui se trouvait sur la promenade des Anglais, au-delà du point d’arrêt du camion, mais qui, entendant des cris et coups de feu, a sauté sur la plage et s’est blessée.

 

En octobre 2017, à la Gare Saint-Charles de MARSEILLE, un homme a poignardé mortellement deux jeunes femmes, avant d’être abattu par une patrouille militaire qu’il s’apprêtait à attaquer.

 

La Chambre de l’instruction n’a pas reconnu la qualité de partie civile à :

  • La personne qui a tenté de maîtriser le terroriste au moment de son attaque des deux victimes.

 

Dans ces deux affaires, les Chambres de l’instruction avaient considéré que ces personnes n’avaient pas été exposées directement et immédiatement au risque de mort ou de blessure recherché par les terroristes, même si le préjudice subi était indéniable (traumatisme psychique et blessures physiques).

 

N’étant pas des « victimes directes », elles ne pouvaient se constituer partie civile devant le juge pénal.

 

 

L’extension décidée par la Cour de cassation

 

Au visa combiné des articles 2, 3 et 87 du Code de procédure pénale, la Chambre criminelle énonce le principe suivant :

 


 

  1. Il résulte de ces textes que, pour qu’une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d’instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent au juge d’admettre comme possibles l’existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale.

 


 

 

Sur cette base, désavouant les Chambres de l’instruction qui avait jugé que le préjudice allégué relevait du traumatisme vécu par les témoins des conséquences de l’infraction et non du préjudice d’une victime directe de la commission de cette infraction, la Cour de cassation retient désormais une relation directe entre le préjudice de la victime et l’infraction commise.

 

Cette conception élargie inclut désormais :

 

==>  Les personnes qui se sont exposées à des atteintes graves à la personne et ont subi un dommage en cherchant à interrompre un attentat (acte de défense d’autrui).

Leur intervention est indissociable de l’acte terroriste.

 

Cela concerne ainsi :

    • La personne ayant tenté de maîtriser un assaillant (N°21-80-670)

 

Pour ces cas de figure, la motivation de la Cour de cassation est la suivante :

 


 

  1. (…) l’action dans laquelle X s’est engagée pour interrompre la commission ou empêcher le renouvellement d’atteintes intentionnelles graves aux personnes, auxquelles elle s’est ainsi elle-même exposée, est indissociable de ces infractions, de sorte que le préjudice pouvant en résulter pour elle peut être en relation directe avec ces dernières.

 


 

 

 

==>  Les personnes qui, se croyant légitimement exposés, se blessent en fuyant un lieu proche d’un attentat (acte de protection de soi).

Leur fuite est indissociable de l’acte terroriste

 

Cela concerne ainsi :

    • La personne qui cherche à fuir le lieu de l’attentat et se blesse à cette occasion (N°21-80265)

 

Pour ce cas de figure, la motivation de la Cour de cassation est la suivante :

 


 

  1. (…) il ressort que X s’est blessée en tentant de fuir le lieu d’une action criminelle ayant pour objet de tuer indistinctement un grand nombre de personnes, à laquelle, du fait de sa proximité, elle a pu légitimement se croire exposée, initiative indissociable de l’action criminelle qui l’a déterminée, suffisent à caractériser la possibilité du préjudice allégué et de la relation directe de celui-ci avec les assassinats et tentatives, objet de l’information.

 


 

 

Pour expliciter sa nouvelle jurisprudence et l’extension de la notion de partie civile, la Cour de cassation rappelle que les attentats terroristes ont pour finalité de répandre la terreur, notamment en cherchant à causer la mort du plus grand nombre possible de personnes, celles-ci pouvant être visées de manière indistincte et de manière indirecte.

 

 

Pour lire l’Avis oral (remarquable) du Premier Avocat Général sur ces 3 affaires : cliquez ici

 

Pour lire le Communiqué de la Cour de cassation sur les décisions du 15 février 2022 : cliquer ici