Les décisions de la Chambre sociale sur la validité et l’application du barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse étaient particulièrement attendues.
Par deux arrêts en date du 11 mai 2022, la Cour de cassation écarte le contrôle in concreto et confirme l’absence d’effet direct de l’article 24 de la Charte sociale européenne.
Le Juge ne peut donc pas s’écarter du barème prévu par l’article L.1235-3 du Code du travail pour indemniser un licenciement injustifié.
Après 4 années de contentieux disparates sur le sujet, la Cour de cassation sacralise le barème instauré en septembre 2017 qui va donc connaitre, comme celui qui l’a institué, au moins un 2ème quinquennat.

 

 

 

 

 

 

 

 

Par Caroline Colet

 

 

 

La Chambre sociale n’a donc pas suivi l’avis de la Première Avocate Générale qui avait pris position en faveur du contrôle in concreto pour les situations imposant une indemnisation plus « adéquate » que celle prévue par le barème.

 

 

1ère Affaire : le barème d’indemnisation n’est pas contraire à l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT : Le juge français ne peut pas l’écarter, même au cas par cas.

 

Dans cette affaire (N°21-14.490), la Cour d’appel de Paris avait écarté l’application du barème, jugeant qu’elle ne permettait pas une indemnisation adéquate de la salariée concernée, en méconnaissance de l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT : la somme maximale prévue par ce barème (17.615 € compte tenu de ses 4 ans d’ancienneté) couvrait à peine la moitié du préjudice tenant à la diminution des ressources financières depuis le licenciement.

 

La Cour d’appel avait décidé de lui allouer 32.000 €, prenant en compte son âge (56 ans au moment de la décision), sa capacité à trouver un nouvel emploi et les conséquences du licenciement à son égard.

 

La Cour de cassation censure cette décision, notamment au visa de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT, d’effet direct.

 

La Cour de cassation rappelle d’abord qu’un licenciement injustifié correspond au licenciement « sans cause réelle et sérieuse », mais aussi au licenciement « nul », de sorte qu’elle analyse les réparations prévues par le Code du travail dans ces deux cas.

 

Ainsi, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité comprise entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié (Article L.1235-3).

 

Elle ajoute que ce barème ne s’applique pas lorsque le licenciement est nul, c’est-à-dire prononcé notamment en violation d’une liberté fondamentale, en lien avec une situation de harcèlement moral ou sexuel, ou décidé de manière discriminatoire.

 

L’indemnité mise à la charge de l’employeur ne peut être inférieure à 6 mois de salaire, ce dernier texte laissant donc une plus large marge de manœuvre au juge (Article L.1235-3-1).

 

Elle estime, en conséquence, que ce dispositif permet une réparation appropriée du préjudice subi par le salarié et suffisamment dissuasive pour l’employeur et que le barème est donc compatible avec l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT.

 


 

  1. Il en résulte, d’une part, que les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls dans les situations ci-dessus énumérées, le barème ainsi institué n’est pas applicable, permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.
  1. Il en résulte, d’autre part, que le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est également assuré par l’application, d’office par le juge, des dispositions précitées de l’article L. 1235-4 du code du travail.
  1. Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.
  1. Il en résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée.

 


 

Elle en déduit également que ce barème s’impose au juge, ce dernier ne pouvant pas l’écarter au cas par cas au motif que son application ne permettrait pas de tenir compte des situations personnelles de chaque justiciable.

 

La Cour de cassation fait ici une application stricte de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui énonce que « la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».

 

Le contrôle in concreto est ainsi définitivement prohibé : le juge devra indemniser le salarié dans les limites prévues par le barème de l’article L.1235-3 du Code du travail.

 

 

 

2ème Affaire : La loi française ne peut faire l’objet d’un contrôle de conformité à l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui n’est pas d’effet direct.

 

Dans cette affaire (N°21-15.247), la salariée demanderesse au pourvoi reprochait à la Cour d’appel de Nancy de ne pas avoir reconnu d’effet direct à l’article 24 de la Charte sociale européenne, s’appuyant sur les similitudes de rédaction avec l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT dont l’effet direct a été reconnu.

 

La Cour de cassation écarte cet argument.

 

Après une analyse de la Charte, elle en conclut que celle-ci, contrairement à la Convention 158 de l’OIT, repose sur une « logique programmatique » : elle réclame des États qu’ils traduisent dans leurs textes nationaux les objectifs qu’elle leur fixe.

 

Elle ajoute que le contrôle du respect de la Charte est, conformément aux dispositions de sa troisième partie, réservé au Comité européen des droits sociaux (CEDS).

 

Par conséquent, elle décide que les employeurs et les salariés ne peuvent pas se prévaloir de l’article 24 de la Charte sociale européenne devant le juge en charge de trancher leur litige et que son invocation ne peut pas conduire à écarter l’application du barème.

 

Dans son « communiqué », la Cour de cassation invite cependant à suivre l’actualité du CEDS.

 

En effet, le CEDS a considéré que les barèmes finlandais et italiens ne permettaient pas toujours d’indemniser de façon adéquate les salariés licenciés sans motif valable.

 

Depuis, le CEDS a été saisi de réclamations à l’encontre du barème français : les décisions que prendra le CEDS ne produiront aucun effet contraignant, toutefois, les recommandations qui y seront formulées seront adressées au gouvernement français…

 

 

 

Pour lire le Communiqué de la Cour de cassation : cliquez ici