La Cour de cassation vient de trancher la question de l’articulation entre une consultation ponctuelle du CSE sur un projet intéressant la marche générale de l’entreprise et la consultation récurrente portant sur les orientations stratégiques et sur leurs conséquences notamment sur l’activité et l’emploi.
Dans une décision du 21 septembre 2022 (N°20-23.660), la Chambre sociale décide que ces deux consultations sont indépendantes l’une de l’autre et que la consultation récurrente n’a donc pas à être mise en œuvre préalablement à une consultation ponctuelle du CSE décidée par l’employeur.
Cette solution vient ainsi mettre un terme au débat existant sur le cadencement des consultations du CSE en cas de projet de restructuration et de compression des effectifs.
Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, le Comité Social et Economique (CSE) doit être « informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise », notamment sur la modification de son organisation économique ou juridique (Article L.2312-8 du Code du travail) et plus spécifiquement en cas de restructuration et compression des effectifs (Article L.2312-37).
Ce type de consultation est qualifiée de « ponctuelle ».
Elle intervient en effet au gré de la mise en œuvre des projets importants de l’entreprise intéressant son organisation et sa marche générale.
En parallèle, le CSE doit être consulté de manière périodique sur 3 grands thèmes (Article L.2312-17) :
- Les orientations stratégiques (L.2312-24),
- La situation économique et financière (L.2312-25),
- La politique sociale, les conditions de travail et de l’emploi (L.2312-26 et suivants).
Ces trois consultations sont qualifiées de « récurrentes ».
Elles interviennent chaque année (L.2312-22), sauf accord collectif fixant une autre périodicité ne pouvant être supérieure à 3 ans (L.2312-19).
En présence d’un projet de restructuration de l’entreprise, la question de l’articulation entre la consultation ponctuelle du CSE sur ce projet et la consultation récurrente sur les orientations stratégiques de l’entreprise était débattue en doctrine et devant les juridictions du fond (la Cour d’Appel de PARIS (Affaire Natixis) étant, par exemple, en opposition sur la question avec le Tribunal Judiciaire de NANTERRE (Affaire Mondadori France)…).
Un projet de restructuration étant nécessairement lié aux orientations stratégiques de l’entreprise, on pouvait légitimement s’interroger sur les points suivants :
- L’employeur devait il procéder aux 2 consultations ?
- Dans l’affirmative, dans quel ordre devait intervenir ces 2 consultations ?
Dans sa décision du 21 septembre 2022, la Cour de cassation tranche précisément ces questions.
Les faits
Un organisme de gestion d’établissements d’enseignement consulte le 18 mars 2020 son CSE sur le projet de fermer l’un de ses lycées professionnels à la rentrée 2020.
La consultation récurrente de ce même CSE sur les orientations stratégiques était par ailleurs fixée au 24 mars suivant.
Le CSE a obtenu en justice la suspension de la consultation ponctuelle jusqu’à la clôture de la consultation récurrente sur les orientations stratégiques, la Cour d’appel saisie ayant notamment retenu que la décision de l’organisme de fermer l’un de ses établissements était un « choix stratégique » en ce qu’il était une « déclinaison concrète d’une orientation stratégique » qui devait être préalablement soumis à la discussion du CSE dans le cadre de sa consultation récurrente.
L’organisme a formé un pourvoi contre cette décision, soutenant notamment que :
- Les consultations récurrentes et ponctuelles sont deux consultations autonomes ;
- L’employeur demeure libre de soumettre tout projet ponctuel à la consultation du CSE quand son objet est suffisamment déterminé pour que son adoption ait une incidence sur la gestion et la marche de l’entreprise.
La position de la Cour de cassation
À l’inverse de la Cour d’Appel, la Chambre sociale juge que la consultation ponctuelle pour être régulière n’a pas à être précédée préalablement de la consultation récurrente sur les orientations stratégiques.
La motivation de la Cour de cassation est la suivante :
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- Pour suspendre la consultation sur la résiliation du contrat avec le ministère de l’agriculture jusqu’à la clôture de celle sur les orientations stratégiques, l’arrêt retient que la décision envisagée de résilier le contrat avec le ministère de l’agriculture et de cesser la formation initiale scolaire du lycée professionnel du paysage et de l’environnement est un choix stratégique, que celui-ci résulte du constat d’une dégradation de la situation économique, d’une trésorerie insuffisante, obérant la capacité de l’OGEC à s’endetter pour faire face à des travaux d’entretien et de rénovation nécessaires, d’une baisse de fréquentation très importante de ce lycée et de la volonté de rétablir un équilibre financier après plusieurs années de déficit. Il ajoute que ce choix n’est que la déclinaison concrète d’une orientation stratégique qui doit préalablement être soumise à la discussion du comité social et économique.
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- En statuant ainsi, alors que la consultation ponctuelle sur la modification de l’organisation économique ou juridique de l’entreprise ou en cas de restructuration et compression des effectifs n’est pas subordonnée au respect préalable par l’employeur de l’obligation de consulter le comité social et économique sur les orientations stratégiques de l’entreprise, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
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La solution est limpide : l’employeur n’est donc pas tenu de consulter au préalable le CSE sur les orientations stratégiques de l’entreprise avant de procéder à la consultation ponctuelle du CSE sur le projet de réorganisation.
Une consultation ponctuelle du CSE peut donc être mise en oeuvre de façon autonome, sans avoir à procéder, ni avant, ni spécifiquement, à la consultation récurrente prévue sur les orientations stratégiques.
Dans sa note explicative jointe à l’arrêt, la Cour de cassation légitime cette solution en relevant très justement que :
- Les dispositions relatives à l’information et à la consultation sur les orientations stratégiques, issues de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, sont la traduction législative de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés.
- Ainsi que l’expriment tant les termes de cet accord que les travaux parlementaires, elles visent, par une consultation récurrente, à promouvoir l’anticipation dans les entreprises tout en associant le CSE au processus de définition des orientations stratégiques.
- Aussi, par son objet et par sa temporalité, cette consultation a été définie indépendamment des consultations ponctuelles.
- Elle offre un cadre à une discussion prospective sur l’avenir général de l’entreprise, distincte des consultations ponctuelles du CSE relatives à un projet déterminé de l’employeur ayant des répercussions sur l’emploi, notamment en matière de restructurations.
Pour finir, la Cour de cassation précise dans sa note explicative que la solution de cet arrêt s’inscrit dans la continuité de celui du 30 septembre 2009 (N°07-20525), selon lequel la régularité de la consultation du CSE sur un projet de licenciement économique n’est pas subordonnée au respect préalable par l’employeur de l’obligation de consulter le CSE sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi, ni de celle d’engager une négociation périodique sur la GPEC.
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