Par deux décisions rendues le 13 septembre 2023, la Cour de cassation modifie sa jurisprudence pour mettre le droit français en matière de congés payés en conformité avec le droit européen.
Au visa de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Chambre sociale décide de neutraliser partiellement les dispositions de l’article L.3141-3 du Code du travail qui prévoient que le salarié en arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle n’acquiert pas de congés payés.
Désormais, la suspension du contrat de travail pour maladie permet l’acquisition de droits à congé payé.
Nous vous proposons une analyse de ce revirement jurisprudentiel, annoncé déjà depuis quelques années par la Chambre sociale, qualifié de « bing bang pour les congés payés » par une source doctrinale et déjà abondamment commenté dans la presse.
Le droit interne (actuel) des congés payés
Tout salarié a droit chaque année à un congé payé à la charge de l’employeur (article L.3141-1 du Code du travail) et acquiert 2,5 jours ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur (article L.3141-3).
L’article L.3141-3 précité énonce par ailleurs les périodes d’absence qui sont considérées comme du travail effectif et permettent l’acquisition de congés payés malgré la suspension du contrat de travail :
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- Les congés payés eux-mêmes, jours RTT, repos compensateur pour heures supplémentaires, jours fériés chômés ;
- Le congé maternité, le congé paternité, le congé d’adoption ;
- Le congé de formation économique, sociale et syndicale ;
- Les congés pour évènements familiaux ;
- L’activité partielle ;
Et
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- L’arrêt maladie pour accident du travail ou maladie professionnelle dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an.
L’arrêt maladie « classique » n’est donc pas considéré comme du travail effectif : il n’ouvre pas droit à congé payé.
Le droit communautaire des congés payés
La directive européenne 2003/88/CE du 4 novembre 2003 sur l’aménagement du temps de travail prévoit un droit à congés payés d’au moins 4 semaines (article 7) :
« Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. »
A ce titre, la CJUE considère que ces dispositions ne permettent pas d’opérer une distinction selon l’origine des absences pour dénier le droit au congé payé (CJUE 24 janvier 2012, aff. C-282/10).
La CJUE rappelle ainsi que « selon une jurisprudence constante le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé (…) ».
Le droit français n’est donc pas conforme à la directive européenne de 2003 et à la jurisprudence communautaire, ce que reconnait de longue date la Cour de cassation (Cass. Soc. 13 mars 2013, N°11-22.285), rappelant toutefois que cette directive n’a pas d’effet direct dans un litige entre particuliers et qu’elle ne peut donc écarter les dispositions nationales contraires si la réclamation n’est fondée que sur ses dispositions.
Le revirement de la Cour de cassation
Au visa de l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Cour de cassation décide désormais d’écarter partiellement l’application de l’article L.3141-3 précité en ce qu’il subordonne l’acquisition de droits à congé payé à l’exécution d’un travail effectif pour un salarié en arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle.
Autrement dit, un salarié en arrêt maladie classique acquiert des droits à congés payés pendant ledit arrêt (Cass. Soc. 13 septembre 2023, N°22-17.340 et N°22-17.342).
Le raisonnement adopté par la Chambre sociale est articulé de la manière suivante :
La Cour de cassation se fonde sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et sur le principe de non-discrimination prévu à l’article L.1132-1 du Code du travail, notamment en lien avec l’état de santé du salarié :
- Aux termes de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés.
- En application de l’article L.1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de son état de santé.
La Cour rappelle ensuite la règle applicable en France de l’acquisition de congés payés et que ce droit au congé annuel est un principe essentiel du droit social communautaire :
- Aux termes de l’article L.3141-3 du code du travail, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.
- Le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l’Union (CJUE 6 novembre 2018, Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C- 570/16, point 80).
Puis la Cour passe en revue la jurisprudence de la CJUE relative à l’article 7 de la Directive de 2003 jugeant de longue date qu’il ne peut être opéré de distinction entre les travailleurs qui sont absents pour maladie et ceux qui ont effectivement travaillé :
- Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, n’opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s’ensuit que, s’agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE Schultz-Hoff, 20 janvier 2009, C-350/06, point 41 ; CJUE 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).
- La Cour de Justice de l’Union européenne juge qu’il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l’article 7 de la directive 2003/88/CE et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10).
Sur cette base, la Chambre sociale suit le mode d’emploi donné par la CJUE pour rendre inapplicable une réglementation nationale non conforme à la Directive de 2003, en se fondant sur les dispositions de l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux qui prévoient une « protection juridique » (sic) pour garantir son plein effet au salarié :
- Par arrêt du 6 novembre 2018 (Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C- 570/16), la Cour de Justice de l’Union européenne a jugé qu’en cas d’impossibilité d’interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l’article 7 de la directive 2003/88/CE et l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée. La Cour de Justice de l’Union européenne précise que cette obligation s’impose à la juridiction nationale en vertu de l’article 7 de la directive 2003/88/CE et de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d’autorité publique et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose le bénéficiaire à un employeur ayant la qualité de particulier.
- La Cour de cassation a jugé que la directive 2003/88/CE ne pouvant permettre, dans un litige entre des particuliers, d’écarter les effets d’une disposition de droit national contraire, un salarié ne peut, au regard de l’article L.3141-3 du code du travail, prétendre au paiement d’une indemnité compensatrice de congés payés au titre d’une période de suspension du contrat de travail ne relevant pas de l’article L.3141-5 du code du travail (Soc., 13 mars 2013, n°11-22.285).
- S’agissant d’un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, les dispositions de l’article L.3141-3 du code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l’exécution d’un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l’Union.
- Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale.
- Il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L.3141-3 du code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un travail effectif l’acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L.3141-3 et L.3141-9 du code du travail.
- La cour d’appel, après avoir, à bon droit, écarté partiellement les dispositions de droit interne contraires à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, a exactement décidé que les salariés avaient acquis des droits à congé payé pendant la suspension de leur contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle.
La Cour de cassation passe donc désormais l’obstacle de l’absence d’effet direct de la Directive de 2003 et décide de neutraliser les dispositions internes en se fondant sur les dispositions de la Charte des droits fondamentaux qui permettent de garantir le plein effet des droits sociaux qu’elle prévoit.
Le revirement étendu à la durée maximale de 12 mois prévue pour les arrêts pour accident du travail ou maladie professionnelle
En matière d’accident du travail et de maladie professionnelle, sur la base du même raisonnement, la Cour de cassation a également décidé d’écarter l’application de l’article L.3141-5 – 5° précité, limitant à 1 an l’assimilation des arrêts de travail AT/MP à du temps de travail effectif pour l’acquisition des congés payés.
Autrement dit, pendant toute la durée de l’arrêt de travail, même supérieure à 1 an, le salarié arrêté pour accident du travail ou maladie professionnelle acquiert des droits à congés payés vaut pour et n’est plus limitée à la première année (Cass. Soc. 13 septembre 2023, N°22-17.638).
EN PRATIQUE : une régularisation massive et majeure à mettre en place !
Tous les employeurs privés vont devoir se mettre en conformité immédiatement et attribuer des congés payés aux salariés qui sont et/ou ont été en arrêt maladie sur les 3 dernières années …
L’impact en terme de gestion Paie est majeur et il n’est pas certain que la Cour de cassation les ai exactement mesurés…
Le délai de prescription applicable aux congés payés est de 3 ans (article L.3245-1) et commence « à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer « .
La demande peut ainsi porter sur les sommes dues au titre des 3 dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des 3 années précédant la rupture du contrat.
A défaut de régularisation, l’employeur s’expose évidemment à un contentieux…
Pour lire le Communiqué de la Cour de cassation : cliquer ici
Pour lire la Notice au rapport annuel concernant ces arrêts : cliquer ici