Depuis les arrêts du 11 mai 2022 (voir notre Article), le débat jurisprudentiel sur la validité et l’application du barème d’indemnisation du licenciement jugé injustifié semblait clos.
Pourtant, certaines Cours d’Appel persistent encore à vouloir s’écarter du barème quand elles jugent que l’indemnité légale parait insuffisante pour réparer le préjudice réellement subi par le salarié.
Parce que « la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse », la Cour de cassation vient de rappeler que le Juge prud’homal ne peut pas s’écarter du barème fixé par l’article L.1235-3 du Code du travail dans un arrêt du 7 mai 2024 (N°22-24.594), reprenant sa motivation et son raisonnement adoptés dans les arrêts du 11 mai 2022.
Dans la même logique, la Cour de cassation a également rappelé dans un arrêt du 3 avril 2024 (N° 23-13.452) que le plancher du barème s’imposait aussi aux juridictions, même dans l’hypothèse où le demandeur ne fournit aucune justification sur sa situation et le préjudice allégué.

 

 

 

 

 

 

Par Caroline Colet

 

 

Les faits

 

Un salarié engagé en qualité d’agent de service au sein d’une entreprise de nettoyage en 1996 est licencié pour cause réelle et sérieuse en 2018, après 22 ans d’ancienneté.

 

La Cour d’appel de Douai saisie du litige alloue 30.000 € de dommages-intérêts au salarié au terme d’une appréciation in concreto du préjudice allégué.

 

Dépassant la limite du barème fixé à 16 mois pour son ancienneté, soit 23.960 €, la Cour prend en compte les charges de famille du salarié (8 enfants), son âge (55 ans) et ses difficultés de retrouver un emploi après un licenciement pour inaptitude à un poste technique avec de fortes restrictions.

 

Cette juridiction, adoptant une motivation radicalement contraire à la position de la Cour de cassation (et militante ?), jugeant « qu’il est des cas comme en l’espèce, qui restent exceptionnels », écarte donc la limite du barème en considérant que l’indemnisation maximale prévue est contraire au principe de la réparation « adéquate » du préjudice en violation de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.

 

 

 

Pour lire l’arrêt cliquez ici : Arrêt Cour Appel Douai

 

 

La position de la Cour de cassation

 

La Chambre sociale censure la décision de la Cour, reprenant intégralement la motivation adoptée pour consacrer la validité du barème développée dans ses arrêt du 11 mai 2022.

 

Inflexible et tranchante, la Cour de cassation se réfère en premier lieu à l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et rappelle que « la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».

 

Puis au visa de l’article L.1235-3 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, et l‘article 10 de la Convention internationale du travail n°158 concernant la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur, la Chambre sociale rappelle aux juges d’appels qu’il leur appartenait seulement d’apprécier la situation concrète du salarié afin de déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par le barème.

 

Autrement dit, l’appréciation in concreto du préjudice se fait nécessairement entre le plancher et le plafond du barème.

 

 


 

  1. En application du deuxième [L.1235-3 du Code du travail], si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés par ce texte. Pour déterminer le montant de l’indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l’occasion de la rupture, à l’exception de l’indemnité de licenciement mentionnée à l’article L. 1234-9. Cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités prévues aux articles L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15, dans la limite des montants maximaux prévus au même article.
  1. Aux termes du troisième [‘article 10 de la Convention internationale du travail n°158], si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.
  1. Les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée.
  1. Pour condamner l’employeur à payer au salarié une somme supérieure au montant maximal prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail, l’arrêt retient qu’il est des cas comme en l’espèce, qui restent exceptionnels, dans lesquels l’indemnisation légalement prévue apparaît insuffisante eu égard aux charges de famille du salarié, et aux difficultés de retrouver un emploi après un licenciement pour impossibilité de reclassement après un avis d’aptitude à un poste technique par le médecin du travail avec de fortes restrictions.
  1. En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait seulement d’apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l’article L. 1235-3 du code du travail, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

 


 

 

Depuis ses arrêts de principe du 11 mai 2022 (N°21-14.490 et N°21-15.247), la Cour de cassation a réaffirmé à plusieurs reprises sa position, sanctionnant les Cours d’appel récalcitrantes (CA Chambéry deux fois, N°21-21011 et N°22-10.973 ; CA Grenoble N°21-24.857).

 

La Cour d’Appel de Douai se heurte donc à son tour au plafond du Barème que la Chambre sociale s’attache à rendre très résistant.

 

Dans la même logique, s’agissant cette fois ci du plancher du barème, la Cour de cassation a également rappelé dans un arrêt du 3 avril 2024 (N° 23-13.452) à la Cour d’appel de Bourges, qui avait alloué une indemnité inférieure audit plancher équivalente à 1,5 mois de salaire, qu’elle devait impérativement se conformer au montant miminum du barème (i.e. 3 mois de salaires), même si le salarié n’établissait pas la réalité de son préjudice et ne fournissait aucun élément à ce titre.

 

 

Rappel : le barème d’indemnisation du licenciement injustifié instauré en France en 2017

 

Depuis l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, un barème a été instauré pour indemniser un licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse.

 

Ce barème légal énoncé à l’article L.1235-3 du Code du travail fixe des montants minimaux et maximaux d’indemnisation en fonction de l’ancienneté du salarié et, pour certains montants planchers, de l’effectif de l’entreprise (moins de 11 salariés).

 

Les montants maximaux varient, selon l’ancienneté du salarié, entre 1 mois (pour moins d’1 an) et 20 mois de salaire brut (pour 30 ans d’ancienneté et plus).