La Cour de cassation vient de préciser dans un arrêt du 25 septembre 2024 (N°22-20.672) la distinction qu’elle opère entre la notion de la vie personnelle et de la vie privée du salarié pour juger le bien-fondé d’un licenciement.
Si le licenciement repose sur un fait relevant de l’intimité de la vie privée et lui porte atteinte, le licenciement est nul.
En revanche, si l’atteinte concerne la vie personnelle du salarié, le licenciement devra être jugé sans cause réelle et sérieuse si les faits reprochés ne constituaient pas un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail.
L’infime distinction séparant les deux notions repose donc sur la notion « d’intimité » de la vie privée, dont le droit au respect est une liberté fondamentale.

 

 

 

 

 

 

 

Par Caroline Colet

 

 

Les faits

 

Un machiniste de la RATP a fait l’objet d’un contrôle de police, après la fin de son service, alors qu’il se trouvait dans son véhicule personnel sur la voie publique.

 

Le contrôle a conduit à la découverte d’un sac contenant du cannabis.

 

La procédure pénale a finalement fait l’objet d’un classement sans suite.

 

Les services de Police ont par la suite procédé à un signalement spontané auprès de l’employeur pour prévenir les risques générés pour la sécurité des voyageurs.

 

Le conducteur de bus a fait l’objet d’un licenciement pour faute grave, sa révocation reposant sur des « propos et comportement portant gravement atteinte à l’image de l’entreprise et incompatibles avec l’obligation de sécurité de résultat de la RATP, tant à l’égard de ses salariés que des voyageurs qu’elle transporte ».

 

Contestant la validité et le bien-fondé de cette rupture, le salarié a saisi la juridiction prud’homale pour que son licenciement soit déclaré nul et obtenir sa réintégration dans l’entreprise.

 

 

La position de la Cour d’Appel

 

Les Juges d’appel ont considéré que les faits reprochés au salarié ne se rattachaient pas suffisamment à la vie professionnelle pour permettre à l’employeur de retenir une faute disciplinaire.

 

La Cour d’appel a notamment jugé :

 

  • D’une part, que le fait de signaler sa profession et son appartenance à la RATP n’était qu’une réponse à la question relative à la profession posée par les agents de police dans le cadre de la procédure,

 

  • D’autre part, que si le contrat de travail interdit la prise de stupéfiants avant ou pendant le service, il ne l’interdit pas après.

 

Les Juges d’appel ont ensuite retenu que le salarié a fait l’objet d’un contrôle d’identité après sa journée de travail, alors qu’il se trouvait sur la voie publique à bord de son véhicule personnel en possession de stupéfiant, et que cette procédure pénale a été classée sans suite.

 

Au vu de ces éléments, la cour d’appel a prononcé la nullité du licenciement en raison de l’atteinte portée au droit fondamental du salarié à sa vie privée et ordonné la réintégration du salarié dans l’entreprise.

 

 

La position de la Cour de cassation

 

La Chambre sociale suit un autre raisonnement fondé sur la distinction entre les notions juridique de « vie personnelle » et de « vie privée », pour juger que la Cour d’appel a commis une confusion entre ces notions voisines mais distinctes et infirmer la décision déférée.

 

L’arrêt rappelle tout d’abord qu’un licenciement ne peut être annulé que si un texte légal le prévoit expressément (ex. : nullité du licenciement discriminatoire) ou lorsque le licenciement a été prononcé en violation d’une liberté fondamentale.

 

La Cour énonce ensuite que le droit au respect de la vie privée constitue bien une liberté fondamentale, cette liberté se rattachant à la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

 

Or, analysant les faits de l’espèce (détention et de consommation de produits stupéfiants à bord de son véhicule, constatés par un service de police sur la voie publique) jugés étrangers aux obligations découlant du contrat de travail, la Chambre sociale considère pour autant qu’ils ne relèvent pas de l’intimité de la vie privée, seule liberté fondamentale protégée, mais de la vie personnelle du salarié.

 

L’articulation de la motivation retenue par la Cour est la suivante :

 


 

Vu les articles L. 1235-1, L. 1235-2, L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail :

 

  1. Il résulte de ces textes que la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur n’ouvre droit pour le salarié qu’à des réparations de nature indemnitaire et que le juge ne peut, en l’absence de disposition le prévoyant et à défaut de violation d’une liberté fondamentale, annuler un licenciement.
  1. Il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen implique le droit au respect de la vie privée.
  1. Pour dire le licenciement nul, l’arrêt constate d’abord qu’il résulte des procès-verbaux de la procédure pénale communiquée par le salarié que celui-ci a fait l’objet d’un contrôle d’identité le 22 avril 2018 à 19h48, après sa journée de travail alors qu’il se trouvait sur la voie publique à bord de son véhicule en possession d’un sac contenant de l’herbe de cannabis et que cette procédure pénale a été classée sans suite par décision du procureur de la République, selon avis notifié à l’intéressé le 13 juin 2018, l’infraction n’étant pas suffisamment caractérisée.
  1. Il relève ensuite que contrairement à ce que soutient la RATP, les faits reprochés au salarié ne se rattachent pas suffisamment à la vie professionnelle pour lui permettre de retenir une faute disciplinaire, dès lors que le simple fait de signaler sa profession et son appartenance à la RATP n’est qu’une réponse à la question relative à la profession qui a nécessairement été posée par le service interpellateur et que si le contrat de travail invoqué par l’employeur interdit la prise de stupéfiants avant ou pendant le service, il ne l’interdit pas après, étant observé que le contrôle a eu lieu après le service de l’intéressé et que la prise de stupéfiant n’a pas, en l’espèce, été caractérisée, les tests s’étant révélés négatifs.
  1. Il en déduit que le licenciement est nul en raison de l’atteinte portée au droit fondamental de l’intéressé à sa vie privée.
  1. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la révocation était fondée sur des faits de détention et de consommation de produits stupéfiants à bord de son véhicule, constatés par un service de police sur la voie publique, étrangers aux obligations découlant du contrat de travail, ce dont il résultait que le motif de la sanction était tiré de la vie personnelle du salarié sans toutefois relever de l’intimité de sa vie privée, de sorte que, si le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, il n’était pas atteint de nullité en l’absence de la violation d’une liberté fondamentale, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

 


 

La Chambre sociale a ainsi suivi l’avis de l’Avocate générale qui rappelle que la notion de vie personnelle doit être distinguée de la notion de vie privée, ces notions distinctes n’emportant pas le même régime juridique.

 

Or, seule la vie privée est une véritable liberté publique, laquelle est réservée à la protection du domicile, de la correspondance et de la vie sentimentale, c’est-à-dire à l’intimité de la vie privée, protégée non seulement dans l’entreprise mais aussi en dehors (Cass. Soc. 2 octobre 2001, N°99-42.942).

 

Selon l’Avocate générale, dans cette affaire « les faits reprochés au salarié se sont déroulés sur la voie publique, puisqu’ils trouvaient leur origine dans un stationnement irrégulier qui a entraîné le contrôle de police. Aucune atteinte à l’intimité de la vie privée n’a été portée par le licenciement qui reprochait des propos et un comportement (usage et détention de stupéfiants) qui, pour être intervenus dans le cadre de la vie personnelle du salarié, ne s’étaient pas produits dans l’intimité de sa vie privée ».

 

Ainsi, tous les aspects de la vie personnelle du salarié ne relèvent pas de l’intimité de sa vie privée et ne sauraient s’analyser en une liberté fondamentale (Par exemple, la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu du travail : Cass. Soc. 28 mai 2003, N°02-40273)

 

Pour finir, la Cour de cassation statue sur la validité du licenciement et le juge sans cause réelle et sérieuse.

 

Le motif invoqué par l’employeur, tiré de la vie personnelle du salarié, ne constituait pas un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail (la consommation de stupéfiants étant interdite avant et pendant le service et non après…).

 

Cette solution est conforme à la jurisprudence établie qui décide qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (par exemple : Cass. Soc. 3 mai 2011, N°09-67-464).

 

 

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