La décision du 23 mars 2022 du Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS) sur la question de la conformité du « Barème Macron » a (enfin) été rendue publique le 26 septembre 2022.
Le CEDS considère à l’unanimité que ce barème d’indemnisation du licenciement injustifié viole l’article 24.b de la Charte sociale européenne.
Cette décision était connue de la Cour de cassation au moment de rendre ses arrêts du 11 mai 2022 qui ont validé le barème prévu à l’article L.1235-3 du Code du travail.
Cette décision du CEDS ne devrait donc pas rouvrir le débat juridique, la Charte sociale n’ayant pas d’effet direct et contraignant en France, ce qu’a rappelé la Cour de cassation.
Mise à jour : Le CEDS vient par ailleurs de publier le 30 novembre 2022 une nouvelle décision en date du 5 juillet 2022 (N°175/2019), par lequel il confirme sa décision du 23 mars 2022, jugeant que le barème viole l’article 24 de la Charte sociale et répond à la Cour de cassation concernant la position adoptée dans ses arrêts du 11 mai 2022.
Lire notre mise à jour en fin d’article.

 

 

 

 

 

 

 

Par Caroline Colet

 

 

Le Comité européen des droits sociaux (CEDS) a été saisi par deux Confédérations syndicales (la CGT et la CGT-FO) qui soutenaient que l’instauration d’un barème d’indemnisation par l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 était contraire à l’article 24 de la Charte sociale européenne qui prévoit un droit à la protection en cas de licenciement dans les termes suivants :

 

Article 24 – Droit à la protection en cas de licenciement :

 

En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaitre :

a.  Le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ;

b.  Le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial.

 

Les organisations réclamantes soutenaient que le barème institué ne permettait pas aux victimes de licenciements injustifiés d’obtenir par la voie judiciaire interne une réparation :

 

  • Adéquate par rapport au préjudice subi

et

  • Dissuasive pour les employeurs

 

Cette réforme ne garantissait donc pas selon elles un droit de recours effectif contre la mesure de licenciement abusif.

 

Dans sa décision du 23 mars 2022, le CEDS donne raison aux requérantes et considère à l’unanimité de ses membres que le barème Macron viole l’article 24.b de la Charte sociale européenne dans la mesure où le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée n’est pas garanti.

 

Le CEDS, à l’issue d’une longue analyse des arguments présentés de part et d’autre et de la jurisprudence française, motive sa décision dans les termes suivants :

 


 

  1. Le Comité note que dans la législation française, le plafond maximal ne dépasse pas 20 mois et ne s’applique qu’à partir de 29 ans d’ancienneté. Le barème est moins élevé pour les salariés ayant peu d’ancienneté et pour ceux qui travaillent dans des entreprises de moins de 11 salariés. Pour ces derniers, les montants minimums et maximums d’indemnisation auxquels ils peuvent prétendre sont faibles et parfois quasi identiques, de sorte que la fourchette d’indemnisation n’est pas assez large.
  1. Le Comité considère que, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement– à savoir que l’objectif du système instaurant des plafonds d’indemnisation était d’assurer une plus grande sécurité juridique aux parties et donc une plus grande prévisibilité des coûts engendrés par une procédure judiciaire – la « prévisibilité » résultant du barème pourrait plutôt constituer une incitation pour l’employeur à licencier abusivement des salariés. En effet, les plafonds d’indemnisation ainsi définis pourraient amener les employeurs à faire une estimation réaliste de la charge financière que représenterait pour eux un licenciement injustifié sur la base d’une analyse coûts-avantages. Dans certaines situations, cela pourrait encourager les licenciements illégaux.
  1. Le Comité note en outre que le plafond du barème d’indemnisation ne permet pas de prévoir une indemnité plus élevée en fonction de la situation personnelle et individuelle du salarié, le juge ne pouvant ordonner une indemnisation pour licenciement injustifié que dans les limites inférieure et supérieure du barème, sauf à écarter l’application de l’article L.1235-3 du code du travail.

(…)

  1. Enfin, en ce qui concerne la possibilité de demander la réparation du préjudice moral subi par d’autres voies de recours, le Comité note que l’article L.1235-3 du code du travail relatif à l’indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse constitue une lex specialis qui s’applique en lieu et place du droit commun de la responsabilité civile. Le droit commun de la responsabilité civile ne s’applique donc que pour obtenir une indemnisation complémentaire pour un préjudice distinct de celui lié à la perte d’emploi injustifiée.
  1. Le Comité considère que, dans la mesure où l’indemnisation du préjudice moral causé par un licenciement sans cause réelle et sérieuse est déjà incluse dans l’indemnité plafonnée, la possibilité pour les salariés injustement licenciés de réclamer, en plus de l’indemnité plafonnée, des allocations chômage ou une indemnité pour les dommages liés, par exemple, à des violations de procédure en cas de licenciement économique, ne représente pas une voie de droit alternative à part entière.
  1. Selon les organisations réclamantes, les préjudices indemnisables n’ont pas de lien avec le licenciement injustifié et ne correspondent qu’à des cas marginaux. Le Gouvernement soutient cependant que les préjudices indemnisables sont certes distincts, mais sont suffisamment liés à la perte injustifiée d’emploi pour être pris en considération par le Comité. Il rappelle avoir donné une série d’exemples de préjudices distincts donnant droit à une indemnisation complémentaire, citant plusieurs décisions de la Cour de cassation à l’appui de ses allégations. Le Comité note que, selon la législation et la pratique suivies par les juridictions internes, notamment la Cour de cassation, d’autres voies de droit peuvent être utilisables dans certains cas limités, mais qu’elles ne s’appliquent pas à tous les cas de licenciements injustifiés.
  1. Le Comité considère que les plafonds prévus par l’article L.1235-3 du Code du travail ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l’employeur. En outre le juge ne dispose que d’une marge de manœuvre étroite dans l’examen des circonstances individuelles des licenciements injustifiés. Pour cette raison, le préjudice réel subi par le salarié en question lié aux circonstances individuelles de l’affaire peut être négligé et, par conséquent, ne pas être réparé. En outre, les autres voies de droit sont limitées à certains cas. Le Comité considère donc, à la lumière de tous les éléments ci-dessus, que le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée au sens de l’article 24.b de la Charte n’est pas garanti. Par conséquent, le Comité dit qu’il y a violation de l’article 24.b de la Charte.

 

CONCLUSION

Par ces motifs, le Comité conclut à l’unanimité qu’il y a violation de l’article 24.b de la Charte.

 


 

 

En pratique, la mise en ligne de cette décision ne viendra pas modifier le débat juridique autour du barème d’indemnisation, aujourd’hui stabilisé par les deux arrêts du 11 mai 2022, et ne devrait pas apporter de changement en droit français.

 

Le CEDS n’est pas une juridiction, mais un comité d’experts indépendants et ses décisions n’ont pas en elles-mêmes de caractère contraignant dans les ordres juridiques nationaux.

 

En outre, l’article 24 de la Charte sociale européenne n’a pas d’effet direct en droit français.

 

Il ne peut donc pas être invoqué devant un juge français dans un litige opposant un salarié et son employeur, ce que la Cour de cassation a précisément rappelé dans l’une de ses décisions du 11 mai 2022 (n°21-15.247).

 

La guérilla judiciaire contre le barème de l’article L.1235-3 du Code du travail ne devrait pas reprendre, même si les appréciations énoncées par le CEDS pourront toujours être reprises au visa de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT, d’application directe en France, dont les termes sont semblables à celui de l’article 24.b de la Charte sociale européenne

 

« Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée. »

 

A date, il sera rappelé que la Cour de cassation a jugé dans l’une de ses décisions du 11 mai 2022 (n°21-14.490) que les dispositions de l’article L.1235-3 du Code du travail sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparations considérée comme appropriée.

 

 

Mise à Jour : Le 5 juillet 2022, le CEDS s’est une nouvelle fois prononcé sur le barème Macron dans le cadre d’une réclamation présentée par le Syndicat CFDT de la métallurgie de la Meuse (N°175/2019).

 

Le CEDS a publié le 30 novembre 2022 cette décision, qui confirme celle du 23 mars 2022, jugeant que ce barème viole l’article 24 de la Charte sociale européenne.

 

Dans cette décision du 5 juillet 2022, le CEDS choisit cependant de répondre à la Cour de cassation concernant la position adoptée dans son arrêt du 11 mai 2022 :

 


 

    1. A cet égard, le Comité a pris connaissance de la récente décision de la Cour de cassation (Chambre Sociale, arrêt du 11 mai 2022, pourvois n° 21-14.490 et 21-15.247) qui, en rejetant la demande du requérant relative aux plafonds fixés par le code du travail,  a considéré que la Charte s’inscrit dans une « logique programmatique » et que son article 24 n’a pas d’effet direct en droit français. En outre, la Cour a estimé que les décisions du Comité ne sont pas de nature juridictionnelle et ne sont donc pas contraignantes pour les Etats parties. Tout cela a conduit la Cour de cassation à conclure que l’article 24 de la Charte ne peut pas être invoqué par les travailleurs ou les employeurs dans les litiges portés devant les tribunaux.
    2. Le Comité prend note de l’approche adoptée par la Cour de cassation. Il rappelle que la Charte énonce des obligations de droit international qui sont juridiquement contraignantes pour les États parties et que le Comité, en tant qu’organe conventionnel, est investi de la responsabilité d’évaluer juridiquement si les dispositions de la Charte ont été appliquées de manière satisfaisante. Le Comité considère qu’il appartient aux juridictions nationales de statuer sur la question en cause (in casu, une indemnisation adéquate) à la lumière des principes qu’il a énoncés à cet égard ou, selon le cas, qu’il appartient au législateur français de donner aux juridictions nationales les moyens de tirer les conséquences appropriées quant à la conformité à la Charte des dispositions internes en cause (voir mutatis mutandis, Confédération des entreprises suédoises c. Suède, réclamation n° 12/2002, décision sur le bien-fondé du 22 mai 2003, par. 43).
    3. Le Comité considère à la lumière de l’ensemble des éléments ci-dessus que, du fait que dans l’ordre juridique interne français, l’article 24 ne peut être directement appliqué par les juridictions nationales pour garantir une indemnisation adéquate aux travailleurs licenciés sans motif valable, le droit à une indemnité au sens de l’article 24.b de la Charte n’est pas garantie en raison des plafonds fixés par l’article L.1235-3 du code du travail.
    4. Le Comité dit qu’il y a violation de l’article 24.b de la Charte à cet égard.

 


 

La non-conformité du barème Macron portait ici uniquement sur la question de l’indemnisation adéquate.

 

Le CEDS a renvoyé à sa décision du 23 mars 2022 dans laquelle il avait conclu à la violation de la Charte s’agissant du mécanisme de barème mis en place, considérant que les plafonds d’indemnisation n’étaient pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l’employeur.

 

Dans sa « réponse » à la Cour de cassation, le CEDS rappelle que la Charte énonce des obligations de droit international qui sont juridiquement contraignantes pour les États parties et que le Comité, en tant qu’organe conventionnel, est investi de la responsabilité d’évaluer juridiquement si les dispositions de la Charte ont été appliquées de manière satisfaisante.

 

Pour le CEDS, les juridictions nationales doivent statuer sur la question de l’indemnisation adéquate à la lumière des principes qu’il a énoncés.

 

À défaut, le législateur français doit donner aux juridictions nationales les moyens de tirer les conséquences appropriées quant à la conformité à la Charte du barème Macron.

 

La question se pose donc de savoir si une résistance des juridictions du fond verra le jour sur la base des considérants de ces deux décisions du CEDS…

 

Pour le moment, le débat semble stabilisé, la doctrine considérant que le barème Macron a encore de beaux jours devant lui.