Le dispositif de l’activité partielle étant encore massivement utilisé par les entreprises, le Gouvernement a indiqué lors du déploiement de la phase de déconfinement en juin dernier qu’il allait désormais renforcer le contrôle des entreprises ayant eu recours à ce dispositif à l’effet d’identifier certains abus ou fraudes.
Le Ministère du travail a ainsi transmis une instruction aux DIRECCTE afin de leur présenter les objectifs du « Plan de Contrôle » qu’elles auront à mettre en œuvre sur leurs territoires respectifs et leur rappeler les outils juridiques dont elles disposent.
En outre, les contrôles opérés pourront porter sur d’autres sujets (Santé et sécurité au travail / obligation d’affichage etc…).
Nous vous proposons donc une revue de l’étendue des pouvoirs d’investigation de l’Inspection du travail, avant de se focaliser sur le contrôle des demandes d’activité partielle.

 

Par Hugues Wedrychowski et Camille Josse

 

 

I./         Objet et protagonistes du contrôle :

 

  • Un objet étendu de contrôle

 

Les agents des services d’Inspection du travail contrôlent l’application par les employeurs de la législation et de la règlementation du travail.

 

Ainsi, chaque agent veille, compte tenu de son emploi et de ses attributions, à l’application des dispositions du Code du travail et des autres dispositions légales relatives au régime du travail, ainsi qu’aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail et notamment des dispositions et stipulations assurant le respect des droits et libertés fondamentaux du travailleur et de la personne humaine (Article R.8124-3 du Code du travail).

 

  • Les agents réalisant le contrôle

 

Le contrôle est opéré en principe par les Inspecteurs et Contrôleurs du travail.

 

Toutefois, l’article L.8123-2 du Code du travail étend les pouvoirs et obligations des inspecteurs et contrôleurs du travail aux Médecins-inspecteurs du travail à l’exception du pouvoir de constater les infractions par mises en demeure et procès-verbaux.

 

L’action des Médecins-inspecteurs porte essentiellement sur l’organisation et le fonctionnement des Services de Santé au Travail.

 

Enfin, l’article L.8123-4 du Code du travail confère aux Ingénieurs de prévention des Directions régionales du travail, lorsqu’ils assistent les Inspecteurs dans leurs missions, les droits de visite, de prélèvement et de communication de documents concernant l’hygiène, la sécurité et les conditions de travail sous réserve de l’obligation de discrétion.

 

 

II./        Moyens du contrôle  :

 

Pour permettre le contrôle, les moyens d’actions de l’Inspection du travail sont les suivants :

  • Droit d’entrer et de visite des établissements (i) ;
  • Droit d’enquête à l’intérieur de ceux-ci (ii) ;
  • Droit de se faire présenter des documents (iii) ;
  • Droit de procéder à des analyses et des prélèvements (iv) ;
  • Droit de demander le recours à des organismes agréés (v).

 

(i) Droit d’entrer et de visite des établissements:

 

Les inspecteurs sont autorisés à pénétrer librement, sans avertissement préalable, à toute heure du jour et de la nuit (lorsqu’ils disposent d’indices précis permettant de croire qu’un travail est effectué la nuit (Cass. Crim. 11 mai 1999), dans tout établissement assujetti au contrôle de l’inspection (article R.8124-25).

 

Les visites n’ont pas à être motivées et ne sont subordonnées à aucune condition particulière.

 

La loi n’apporte aucune autre restriction au pouvoir d’investigation des Inspecteurs du travail à l’intérieur des entreprises que celle du respect du domicile privé.

 

Dans l’hypothèse de travaux exécutés dans des locaux habités, les Inspecteurs ne peuvent y pénétrer qu’après avoir reçu l’autorisation des personnes qui les occupent.

 

Lorsqu’ils se présentent dans l’entreprise, les inspecteurs doivent être munis de pièces justificatives de leur fonction. Toutefois, il a été jugé que la présentation d’une carte professionnelle n’est pas une condition nécessaire à l’exercice de leurs fonctions. (Cass. Crim. 13 juin 1989).

 

Si l’inspecteur ne doit pas avertir au préalable l’employeur de sa visite, il doit en revanche l’informer de sa présence, à moins qu’il n’estime qu’un tel avis risque de porter préjudice à l’efficacité du contrôle.

 

En pratique, si l’employeur est présent lors de la visite, il est souhaitable que le chef d’entreprise accompagne ou fasse accompagner l’inspecteur et entende ses constats et éventuelles conclusions.

 

Par ailleurs, les membres de la délégation du personnel au CSE sont informés de la présence de l’inspecteur par l’employeur et peuvent présenter leurs observations (Article L.2312-10).

 

Enfin, l’agent de contrôle se fait accompagner par un membre de la délégation du personnel du comité, si ce dernier le souhaite.

 

 

(ii) Droit d’enquête à l’intérieur des établissements:

 

L’Inspecteur peut procéder à tous examens, contrôles ou enquêtes jugés nécessaires pour s’assurer que les dispositions légales sont effectivement observées, et peut, notamment, interroger, soit seul, soit en présence de témoins, l’employeur ou le personnel de l’entreprise sur toutes les matières relatives à l’application de ces dispositions.

 

Aucune disposition du code du travail ne restreint le pouvoir dévolu aux Inspecteurs du travail de procéder à l’intérieur des établissements où ils ont accès en raison de leurs fonctions, aux enquêtes dont ils sont chargés (Cass. Crim. 22 juillet 1981).

 

Les inspecteurs sont habilités à demander aux employeurs et aux personnes employées dans les établissements de justifier de leur identité et de leur adresse. (Article L.8113-2).

 

 

(iii) Droit de se faire présenter les documents:

 

Les agents de contrôle de l’inspection du travail peuvent se faire présenter, au cours de leurs visites, l’ensemble des livres, registres et documents rendus obligatoires par la règlementation du travail (Article L.8113-4).

 

Ils peuvent faire copie ou établir des extraits de ces documents.

 

Les principaux registres et documents devant être tenus par l’employeur à la disposition de l’inspecteur du travail lors de ses visites sont notamment les suivants :

  • Registre unique du personnel
  • Accusé de réception de la déclaration préalable à l’embauche ou toute autre preuve de cette déclaration
  • Double des bulletins de paie
  • Documents permettant de comptabiliser le temps de travail
  • Registre des repos hebdomadaires lorsque le repos n’est pas donné collectivement
  • Documents relatifs à l’hygiène et à la sécurité :
    • Document unique d’évaluation des risques
    • Informations concernant la prévention et l’évaluation du risque chimique
    • Liste des postes de travail présentant des risques particuliers pour les stagiaires en entreprise et les salariés sous contrat à durée déterminée ou sous contrat de travail temporaire et nécessitant une formation renforcée à la sécurité
    • Documents relatifs aux contrôles en matière d’hygiène et sécurité : les attestations, consignes, résultats et rapports relatifs aux vérifications et contrôles mis à la charge des employeurs au titre de l’hygiène et de la sécurité du travail ainsi que les observations et mises en demeure notifiées par l’inspection du travail et relatives à des questions d’hygiène et de sécurité, de médecine du travail et de prévention des risques
    • Procès-verbaux des réunions du CHSCT
    • Registre des accidents bénins (consigne les accidents du travail bénins n’entraînant ni arrêt de travail ni soins médicaux)
  • Rapport sur l’emploi (entreprises d’au moins 300 salariés)
  • Rapport sur la situation économique de l’entreprise (entreprises de moins de 300 salariés)

 

En outre, les déclarations et principaux documents à adresser aux services de l’Inspection, sur demande, sont notamment les suivants :

  • Déclaration d’activité lorsque l’établissement embauche du personnel pour la première fois ou lorsque, ayant cessé d’occuper du personnel pendant six mois au moins, il en emploie à nouveau.
  • Déclaration d’ouverture de chantier temporaire ou autre lieu de travail occupant 10 personnes au moins pendant plus d’une semaine
  • Déclaration en cas de recours au travail à domicile
  • Règlement intérieur
  • Documents relatifs aux horaires de travail
  • Dérogations temporaires au repos hebdomadaire
  • Chômage partiel
  • Bilan social
  • Rapport unique (entreprises d’au moins 300 salariés)
  • Rapport annuel sur la situation comparée hommes-femmes dans l’entreprise
  • Procédés de travail susceptibles de provoquer des maladies professionnelles
  • Documents électoraux
  • Documents relatifs à la consultation des représentants du personnel :
  • Documents d’hygiène et de sécurité :
  • Déclaration des entreprises étrangères en cas de détachement temporaire de personnel en France
  • Déclaration d’accident du travail d’un travailleur étranger détaché en France pour l’exécution d’une prestation de services
  • Horaire de travail, heures et durée du repos des salariés détachés temporairement en France par une entreprise étrangère
  • Groupement d’employeurs (information de sa constitution)

 

Enfin, l’Inspecteur peut vérifier les documents devant être affichés, à savoir :

  • Coordonnées des Administrations du travail :
    • Adresse, nom et téléphone de l’Inspecteur du travail compétent pour l’établissement
    • Adresse et numéro de téléphone du Médecin du travail
    • Adresse et numéro de téléphone des services de Secours d’urgence
  • Avis de la mise à disposition d’un exemplaire de la convention collective
  • Règlement intérieur
  • Horaire de travail et périodes de repos :
  • Textes :
    • Texte des articles du Code pénal relatifs au harcèlement sexuel et au harcèlement moral
    • Texte des articles du Code pénal relatifs à la non-discrimination
    • Dispositions légales et réglementaires relatives à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes
  • Synthèse du plan d’action pour l’égalité hommes-femmes
  • Documents relatifs à l’hygiène et à la sécurité
    • Avis sur les modalités d’accès au document unique d’évaluation des risques
    • Consigne d’incendie
    • Consignes à respecter en cas d’accident électrique
    • Liste des membres de la CSSCT
    • Déclaration préalable de chantier adressée par le maître d’ouvrage à l’inspecteur du travail

 

 

(iv) Droit de procéder à des analyses et des prélèvements :

 

Les inspecteurs ont qualité, concurremment avec les Officiers de Police Judiciaire et les Agents de la DGCCRF, pour procéder aux fins d’analyse, à tous prélèvements portant sur les matières mises en œuvre et les produits distribués ou utilisés.

 

 

(v) Droit de demander le recours à des organismes agréés :

 

Les agents de contrôle de l’Inspection du travail peuvent demander à l’employeur de faire procéder à des contrôles techniques consistant notamment :

  • A faire vérifier l’état de conformité de ses installations et équipements avec les dispositions applicables (ex. : contrôles et mesures permettant de vérifier la conformité de l’aération et de l’assainissement des locaux de travail)
  • A faire procéder à la mesure de l’exposition des travailleurs à des nuisances physiques, à des agents physiques, chimiques ou biologiques donnant lieu à des limites d’exposition
  • A faire procéder à l’analyse de matières ou articles susceptibles de comporter ou d’émettre des agents physiques, chimiques ou biologiques dangereux pour les travailleurs.

 

Le coût de ces vérifications et mesures sont à la charge de l’employeur et elles doivent être réalisées :

  • Soit par des organismes ou des personnes agréées figurant sur une liste arrêtée conjointement par les ministres chargés du travail et de l’agriculture ;
  • Soit par un organisme accrédité par le Comité français d’accréditation ou par tout autre organisme d’accréditation signataire de l’accord multilatéral européen établi dans le cadre de la coordination européenne des organismes d’accréditation.

 

 

III./       Sanctions : contraventions et délit d’obstacle :

 

Le fait de faire obstacle intentionnellement à l’accomplissement des devoirs d’un inspecteur ou d’un contrôleur du travail est puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 37.500€ (Article L.8114-1).

 

En outre, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 3èmeclasse (450 €) le fait de ne pas présenter à l’inspection du travail :

 

  • Les livres, registres et documents rendus obligatoires par le Code du travail ou par une disposition légale relative au régime du travail,
  • Les documents permettant de comptabiliser les heures de travail accomplies par chaque salarié, en méconnaissance des dispositions de l’article 3171-3 du Code du travail.

 

Il peut y avoir cumul de contravention et de délit.

 

Enfin, une organisation syndicale peut mettre en mouvement l’action publique du chef d’obstacle à l’accomplissement de la mission du contrôleur et inspecteur du travail, peu important que le Procureur de la République ait classé sans suite un procès-verbal relatif à cette infraction. (Cass. Crim. 4 octobre 1988).

 

 

IV./       Focus sur le contrôle concernant l’Activité Partielle:

 

Le Gouvernement a adressé aux DIRECCTE une instruction afin de leur présenter les objectifs du plan de contrôle des entreprises ayant demandé à être indemnisées au titre de l’activité partielle et de leur rappeler les outils juridiques dont elles disposent.

 

Ce plan de contrôle distingue les entreprises qui, de bonne foi, ont fait des erreurs lorsqu’elles ont renseigné leurs demandes d’indemnisation (i) et celles qui ont fraudé (ii).

 

  • Les erreurs commises de bonne foi :

 

Il est demandé aux DIRECCTE d’engager un dialogue avec l’entreprise en vue d’une régularisation « à l’amiable » en conduisant l’entreprise à reconnaître son erreur et à la corriger.

 

La situation financière de l’entreprise sera prise en compte dans les modalités de remboursement des sommes dues, et des solutions d’accompagnement.

 

Rappelons que le décret n°2020-794 du 26 juin 2020 a prévu à l’article R.5122-10 du Code du travail que la demande de remboursement par l’administration des allocations d’activité partielle en cas de trop-perçu ou non-respect sans motif légitime des engagements pris est encadré dans un délai qui ne peut être inférieur à 30 jours.

 

Toutefois, le texte ne précise pas le point de départ du délai de 30 jours : une précision est attendue sur ce point (A partir du versement de la somme par l’Agence de services et de paiement (ASP) ? De sa réception par l’employeur ?).

 

  • Les Fraudes :

 

Pour les fraudes, les agents de contrôler sont invités à identifier :

 

  • Les cas où des entreprises ayant demandé à bénéficier de l’activité partielle auraient demandé en parallèle à ces mêmes salariés de travailler,

 

  • Les demandes de remboursement intentionnellement majorées par rapport au montant des salaires effectivement payés.

 

Les principales cibles des contrôles seraient notamment les secteurs fortement consommateurs d’activité partielle, notamment le BTP, les activités de service administratif, de soutien et de conseil aux entreprises, et les entreprises dont l’effectif est composé d’une majorité de cadres, dont l’activité est davantage susceptible d’être exercée en télétravail.

 

Il est également demandé aux DIRECCTE de traiter rapidement les signalements transmis par les salariés, syndicats, CSE etc…

 

En cas de fraude, et dès lors que l’élément intentionnel constitutif de l’infraction aura été constaté, l’entreprise et/ou son responsable sera passible de sanctions pénales (jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 30.000 € d’amende) et administratives (remboursement des aides et exclusion du bénéfice des aides jusqu’à 5 ans).

 

  • Exemple de documents pouvant être sollicités par les agents de contrôle :

 

À titre d’exemple, les documents suivants peuvent être demandés :

  • Justificatifs détaillés précisant les effets de l’épidémie de Covid-19 sur l’activité de l’entreprise ayant motivé le recours au dispositif,
  • Copie des bulletins de salaire des salariés pour les mois concernés par l’activité partielle faisant apparaître le taux horaire brut initial et les heures/jours chômés au titre de l’activité partielle,
  • Copie des plannings des salariés,
  • Copie des accords d’entreprise/groupe ou extrait de la convention collective applicable à l’entreprise justifiant les éventuels calculs de taux majorés,
  • Copie des contrats de travail des salariés concernés en forfait heures/jours supérieurs à la durée légale,
  • Copie des justificatifs et noms des salariés placés en activité partielle motivés par la nécessité de garder leurs enfants ou en situation de vulnérabilité face au Covid-19 pour eux même ou bien leurs proches,
  • PV du CSE consulté sur la mise en activité partielle.