Dans un arrêt du 18 juin 2025 (N°23-10.857), La Cour de cassation confirme l’autonomie importante laissée à la négociation collective en matière de dialogue social, permettant aux organisations syndicales d’adapter le fonctionnement du CSE par un accord collectif.
La Chambre sociale valide ainsi plusieurs clauses d’un accord signé au sein d’une UES, offrant ainsi une illustration de la souplesse du droit conventionnel dans l’organisation du fonctionnement d’un CSE.
Le cadre juridique applicable
Le CSE, instauré en 2017 en remplacement du comité d’entreprise, du CHSCT et des délégués du personnel, a été conçu comme largement adaptable à l’entreprise.
Les entreprises peuvent prendre la main sur les attributions et les modalités de fonctionnement du CSE dans des domaines très divers (contenu, périodicité et modalités des consultations récurrentes, nombre de réunions annuelles, délais pour rendre un avis, etc.), pourvu que ces adaptations résultent d’un accord collectif (Art. L.2312-19).
Cet accord peut prendre la forme accord collectif « classique », c’est-à-dire conclu avec des syndicats représentatifs majoritaires (Art. L.2232-12, al. 1 du Code du travail), ou, en l’absence de délégué syndical, d’un accord entre l’employeur et le CSE, adopté à la majorité des élus titulaires.
En l’espèce, deux sociétés constituant une UES (Orange) et quatre syndicats avaient conclu le 13 mai 2019 un accord collectif sur le dialogue social, qui définissait notamment les attributions et le fonctionnement du CSE.
Cet accord avait pour objet :
- la mise en place des comités sociaux et économiques d’établissement (CSEE) et du comité social et économique central (CSEC) ;
- la mise en place de représentants de proximité ;
- de définir le nouveau cadre du dialogue social au sein de l’UES.
Un syndicat non-signataire de l’accord l’a contesté devant le tribunal judiciaire en vue de faire annuler plusieurs articles qui restreignaient les droits et rôles des CSE d’établissement et d’enjoindre aux signataires de renégocier de nouvelles stipulations conformes.
La Cour d’appel a rejeté toutes les demandes du syndicat.
La position de la Cour de cassation
Rejetant le pourvoi, la Cour de cassation a validé toutes les possibilités d’aménagement offertes par la négociation en matière de dialogue social dans l’entreprise.
Cet arrêt confirme qu’il est possible de négocier dans le domaine des attributions du CSE, mais également du droit syndical et de la négociation collective.
1°/ Expertise : une centralisation possible au niveau du CSE central :
L’accord prévoyait que les CSE d’établissement étaient consultés sur la politique sociale et les conditions de travail et d’emploi au sein de leur établissement, mais il leur interdisait de faire appel à un expert lors de cette consultation (Art. L. 2315-80 et L.2315-91).
Le recours à l’expertise était réservé selon l’accord au CSE central.
Contestation du syndicat : Le Code du travail précise que le CSE d’établissement a les mêmes attributions que le CSE d’entreprise, dans la limite des pouvoirs confiés au chef de cet établissement et qu’il peut faire appel à un expert (Art. L.2316-20 et L.2316-21).
Cette disposition d’ordre public ne pouvait pas être contredite par un accord.
Solution retenue : L’arrêt confirme qu’un accord collectif peut réserver au CSE central le recours à l’expertise, même lorsque les consultations sont menées au niveau des établissements.
Une position cohérente avec la législation permettant aux accords de déterminer les niveaux de consultation, et avec le droit européen sur l’information-consultation des travailleurs.
- Il en résulte que les signataires d’un accord collectif conclu en application des dispositions de l’article L. 2312-19 du code du travail peuvent réserver au comité social et économique central le droit à expertise portant sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi, quand bien même l’accord collectif prévoit que l’information – consultation sur certains thèmes de la politique sociale, des conditions de travail et de l’emploi est menée au niveau des comités sociaux et économiques d’établissement.
2°/ Représentants de proximité : un rôle exclusif possible
L’accord réservait aux seuls représentants de proximité, qu’il avait mis en place dans l’entreprise, le droit de présenter des réclamations, tant individuelles que collectives, des salariés. Le CSE était privé de ce droit.
Contestation du syndicat : Le Code du travail précise que le CSE est compétent en matière de présentation des réclamations, tant individuelles que collectives, des salariés, cette disposition d’ordre public ne pouvait donc pas être mise en cause par un accord collectif (Art. L.2312-5, al. 1 et L.2312-8, IV).
Même si cette disposition n’était pas d’ordre public, il ne pouvait y être dérogé que par des dispositions conventionnelles plus favorables.
Or, la disposition d’un accord collectif qui prive le CSE de la possibilité de présenter des réclamations, tant individuelles que collectives, n’est pas plus favorable que les dispositions du code du travail qui prévoient une telle attribution (Art. L.2312-4 et L.2251-1).
Solution retenue : La Haute juridiction valide cette option, estimant qu’en l’absence de règle légale contraire, rien n’interdit qu’un accord d’entreprise leur confie cette prérogative de manière exclusive.
Elle rappelle cependant que les salariés conservent individuellement la faculté de s’adresser à leur employeur, comme prévu par le Code du travail.
- En l’absence de disposition législative contraire et eu égard à la finalité de l’institution des représentants de proximité, créée par l’article L. 2313-7 du code du travail dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, éclairée par les travaux parlementaires de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, lesquels représentants ont vocation à exercer leur mandat de représentation des salariés au niveau du périmètre du site sur lequel ils sont désignés par le comité social et économique selon des modalités définies par l’accord d’entreprise qui les met en place, un accord d’entreprise peut confier aux représentants de proximité la mission de présenter à l’employeur les réclamations individuelles ou collectives des salariés de manière exclusive, les salariés conservant en tout état de cause, en application de l’article L. 2312-7 du code du travail, le droit de présenter eux-mêmes leurs observations à l’employeur ou à ses représentants au sein de chaque établissement.
3°/ CSSCT : une compétence étendue en cas de situation grave
L’accord déléguait à la commission de santé, de sécurité et des conditions de travail (CSSCT) le droit du CSE de se réunir en cas d’accident ayant entraîné ou ayant pu entraîner des conséquences graves et en cas d’événement grave lié à l’activité de l’entreprise, ayant porté atteinte ou ayant pu porter atteinte à la santé publique ou à l’environnement (Art. L.2315-27).
Contestation du syndicat : Le droit du CSE de se réunir dans de telles circonstances étant d’ordre public, il ne pouvait être conventionnellement délégué à la commission de santé, de sécurité et des conditions de travail.
Solution retenue : La clause confiant à la commission santé, sécurité et conditions de travail la tenue de réunions exceptionnelles en cas d’accidents graves ou d’atteinte à la santé publique est jugée conforme au droit.
La Cour considère que cette délégation, prévue dans l’accord, respecte les textes encadrant les missions de la CSSCT, dès lors qu’elle est expressément encadrée.
- Il résulte de ces textes qu’un accord d’entreprise peut confier à la commission santé, sécurité et conditions de travail la mission de se réunir à la suite de tout accident ayant entraîné ou ayant pu entraîner des conséquences graves, ainsi qu’en cas d’événement grave lié à l’activité de l’entreprise, ayant porté atteinte ou ayant pu porter atteinte à la santé publique ou à l’environnement ou à la demande motivée de deux de ses membres représentants du personnel, sur les sujets relevant de la santé, de la sécurité ou des conditions de travail.
Santé au travail : la BDESE comme outil d’information
L’accord collectif prévoyait que le rapport administratif et financier du SPST serait mis à la disposition des élus du CSE dans la base de données économiques sociales et environnementales (BDESE) et que ce rapport ne ferait pas l’objet d’une présentation en réunion.
Contestation du syndicat : Il était soutenue qu’il était impossible de substituer à une présentation en bonne et due forme une simple mise à disposition dans la BDESE.
Solution retenue : S’agissant de l’obligation d’information sur le fonctionnement du service de santé au travail, la mise à disposition du rapport annuel dans la base de données économiques et sociales (BDESE), sans présentation orale en réunion, est jugée suffisante. L’accord remplit ainsi son rôle d’information sans méconnaître les droits du CSE.
- Il en résulte que l’accord collectif conclu dans les conditions précitées peut prévoir que la présentation du rapport annuel relatif à l’organisation, au fonctionnement et à la gestion financière du service de santé au travail au comité social et économique sera effectuée par la mise à disposition du comité social et économique de ce rapport dans la base de données économiques et sociales.
- L’arrêt constate qu’aux termes de l’article 13.1.1.1. de l’accord collectif du 13 mai 2019 les parties conviennent que le rapport administratif et financier du service de santé au travail est mis à la disposition des élus dans la base de données économiques et sociales et que ce rapport ne fait pas l’objet d’une présentation en réunion.
- En conséquence, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que l’article 13.1.1.1. de l’accord collectif sur le dialogue social pouvait prévoir cette modalité de présentation du rapport annuel au comité social et économique et que la demande en annulation de cette disposition devait être rejetée.
Remboursement des frais : une différenciation possible
L’accord collectif relatif au dialogue social accordait aux DS la prise en charge de leurs déplacements, dans la limite de 12 déplacements par trimestre par DS au niveau de l’établissement distinct.
Les RSS ne bénéficiaient pas de cette prise en charge, sauf pour les déplacements visant à se rendre à une réunion convoquée par l’entreprise.
Contestation du syndicat : il était soutenu que le fait de réserver la prise en charge des frais de déplacement aux DS conduisait à instituer une différence de traitement injustifiée entre syndicats représentatifs et non représentatifs.
Solution retenue : La Cour admet que seuls les délégués syndicaux puissent bénéficier du remboursement de leurs frais de déplacement, à l’exclusion des représentants de section syndicale, sauf dans certains cas.
Elle estime que cette distinction est fondée sur la nature différente de leurs missions, et ne porte pas atteinte au principe d’égalité, les prérogatives essentielles des RSS restant intactes.
- Il en résulte que, si le représentant de section syndicale a le droit de circuler librement dans l’entreprise, un accord collectif peut réserver le remboursement par l’employeur, selon certaines modalités, des frais de déplacement aux seuls délégués syndicaux.
- L’arrêt constate, par motifs propres et adoptés, que les articles 21.3.6.1 et 21.4 de l’accord collectif du 13 mai 2019 prévoient que les frais de déplacement des délégués syndicaux sont pris en charge dans la limite de douze déplacements par trimestre par délégué syndical au niveau de l’établissement distinct tandis que les représentants de section syndicale ne bénéficient pas de la prise en charge de leurs déplacements, sauf pour une réunion convoquée par l’entreprise.
- Ayant relevé que les avantages supplémentaires attribués par l’accord collectif aux délégués syndicaux ne privaient pas les représentants de section syndicale de l’exercice de leurs prérogatives légales et que ces avantages étaient afférents à des déplacements non obligatoires ne résultant pas de réunions convoquées par l’entreprise, la cour d’appel en a déduit à bon droit que l’action en annulation des dispositions précitées de l’accord collectif sur le dialogue social devait être rejetée.
Commission de suivi : une composition restreinte légitime
L’accord collectif avait mis en place une commission de suivi dont la mission était « d’identifier des éléments pouvant justifier la renégociation de l’accord sur certains points ».
Seuls les syndicats signataires avaient accès à cette commission. En revanche, il était prévu que si la commission formulait une demande révision, les négociations s’engageraient avec l’ensemble des syndicats représentatifs, incluant de ce fait les syndicats représentatifs non-signataires.
Contestation du syndicat : il était soutenu qu’il était impossible d’écarter les non-signataires du processus de négociation d’éventuels avenants, au nom du principe de loyauté de la négociation collective.
Solution retenue : Selon la Cour, dès lors que cette instance n’a pas vocation à négocier des avenants ou à réviser l’accord, une telle restriction ne contrevient pas au droit de révision ouvert à l’ensemble des syndicats représentatifs.
L’article du Code du travail applicable à la révision (L. 2261-7-1) demeure en effet préservé.
- Il en résulte qu’un accord collectif peut réserver aux organisations syndicales signataires de l’accord le droit d’être membre de la commission de suivi de cet accord, dès lors que celle-ci n’a pas pour mission d’engager des négociations en vue de la révision de l’accord collectif.
- Ayant retenu que, si l’article 38 de l’accord collectif sur le dialogue social précise que la commission de suivi « aura également pour attribution d’identifier, le cas échéant, les éléments pouvant justifier un avenant correctif à l’accord », l’article 39 de l’accord prévoit qu’en cas de demande de révision de l’accord, les négociations seront ouvertes avec l’ensemble des organisations syndicales représentatives, la cour d’appel en a déduit exactement que la demande d’annulation de l’article 38 de l’accord devait être rejetée.
En conclusion : cette décision réaffirme que, dans le silence de la loi ou en complément de celle-ci, les accords collectifs peuvent organiser librement les modalités du dialogue social, dès lors qu’ils respectent les principes généraux du droit du travail.
Une reconnaissance claire du rôle de la négociation collective dans l’organisation des relations sociales.
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