De nombreux employeurs ont été contraints de prendre des décisions « défensives » concernant les processus de recrutement en cours.
Des ruptures de promesses d’embauche transmises ou conclues avant la crise sanitaire du Covid-19 ont ainsi été décidées pour tenter d’atténuer, dans l’immédiat, les effets de la réduction de l’activité et les incertitudes nombreuses concernant l’avenir.
Ces ruptures peuvent évidemment donner lieu à contestation.

 

Par Philippe Suard et Hugues Wedrychowski

 

Les rétractations ou ruptures de promesses d’embauche doivent être analysées différemment selon l’avancée des discussions autour de la conclusion d’un contrat de travail et la manifestation de l’accord des parties sur les éléments essentiels de la relation de travail.

 

1./       De simples pourparlers étaient en cours :

 

=> La rupture est possible à l’aube d’une future promesse d’embauche.

 

Le candidat à l’embauche et l’employeur ne sont pas liés par une quelconque promesse de contrat de travail lorsqu’ils sont entrés en discussion sur une possible embauche.

 

Dans cette hypothèse :

  • Aucune formalisation par écrit des conditions de l’embauche n’a été réalisée,
  • De simples discussions sont intervenues entre le candidat et l’employeur.

 

Ces échanges, qualifiés de « simples pourparlers », peuvent être rompus à tout moment, sans justification et sans conséquence pour l’une ou l’autre des parties.

 

La jurisprudence est constante sur ce point.

 

Elle ne sera pas remise en cause après la crise sanitaire, sauf abus ou cas exceptionnel (ex : Cour d’Appel d’AGEN, 19 février 2002, n°00-1719 : cas d’une annonce erronée de succès aux épreuves de sélection avant embauche, ayant conduit le candidat à démissionner de son précédent emploi).

 

 

2./       L’offre d’embauche, sous forme de proposition ferme et écrite, a été transmise par l’employeur au candidat :

 

=> Sa rétractation est encore possible avant sa réception par le candidat ou si le délai pour l’accepter est dépassé par le candidat.

 

Si la proposition écrite transmise au candidat précise l’emploi, la rémunération, la date d’entrée en fonction et mentionne expressément la volonté de l’employeur d’être lié en cas d’acceptation, elle constitue une offre de contrat de travail.

 

Cette offre peut toujours être rétractée par l’employeur :

 

  • Avant que le candidat ne la reçoive (hypothèse d’un envoi par courrier postal),

ou

  • Si le candidat ne l’a pas acceptée dans le délai imparti pour le faire (à défaut de délai fixé, dans un délai raisonnable peut être appliqué : 10-15 jours).

 

Dans ces hypothèses, l’employeur n’engage pas sa responsabilité.

 

=> Si la rétractation de l’offre intervient avant l’expiration du délai fixé (ou, à défaut, avant l’issue d’un délai raisonnable), le contrat de travail n’est pas formé mais l’employeur engage sa responsabilité extracontractuelle.

 

Le salarié devra établir la réalité du préjudice subi et le lien de causalité entre la rétractation fautive de l’employeur et ce préjudice allégué.

 

La jurisprudence est stabilisée sur ce point.

 

 

3./       Une promesse unilatérale de contrat de travail a été transmise, avec un droit d’option pour le candidat :

 

=> La rétractation de l’employeur n’est plus possible : si le salarié accepte le contrat de travail, la relation contractuelle est formée.

 

L’employeur a voulu donner une garantie d’embauche au candidat, notamment si ce dernier est débauché de son précédent emploi : la promesse indique que l’employeur donne son accord irrévocable pour conclure le contrat de travail.

 

L’acceptation par le salarié de promesse unilatérale de l’employeur opère la formation définitive du contrat de travail.

 

La rétractation de l’employeur produit alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

Compte tenu de l’absence d’ancienneté du salarié, le barème de l’article L.1235-3 limite en théorie l’indemnité à 1 mois de salaire brut.

 

En pratique, la juridiction saisie pourrait cependant décider d’allouer des dommages intérêts en s’affranchissant du barème, opérant une appréciation in concreto du préjudice subi (préjudice de carrière résultant d’une démission donnée, frais de déménagement… etc) ou choisir d’indemniser un préjudice moral.

 

En outre, même si le sujet est discuté en doctrine, le candidat pourrait revendiquer l’attribution d’une indemnité de licenciement et une indemnité compensatrice de préavis : plusieurs arrêts ont accordé ces indemnités dans le cadre d’une rupture de promesse de contrat.

 

Si l’employeur rompt la promesse pour un motif illicite ou discriminatoire (état de santé du candidat notamment), la rupture s’analyse en un licenciement nul, lequel entraine l’application de l’article L.1235-3-1 (indemnité de 6 mois de salaires).

 

 

4./       Le salarié a accepté l’offre d’embauche (dans le délai imparti) ou la promesse de contrat de travail en levant l’option donnée :

 

=> La rupture unilatérale par l’employeur qui décide de se rétracter produit alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

Le salarié bénéficiait d’un contrat de travail.

 

La rupture unilatérale décidée par l’employeur autorise le salarié à réclamer des dommages-intérêts, sur les mêmes fondements que ceux exposés au point 3./.

 

 

5./       La crise sanitaire pourrait-elle néanmoins justifier une rétractation de l’employeur ?

 

La question est débattue en doctrine.

 

L’épidémie de Covid-19 et ses conséquences dévastatrices sur l’activité des entreprises pourraient être présentées comme un « motif légitime » de rupture d’une promesse d’embauche pour tenter de neutraliser une demande indemnitaire formée par le salarié.

 

Avant cette crise majeure, la jurisprudence se montrait particulièrement exigeante, n’admettant que très rarement un motif légitime de rupture d’une promesse d’embauche (défaut de l’obtention de la certification requise au poste)

 

Les cas de dissimulation d’informations déterminantes sur le passé du candidat (condamnation pénale, litige avec le précédent employeur) n’ont, par exemple, jamais été acceptés.

 

Cependant, les circonstances exceptionnelles liées à cette pandémie, déjà qualifiée de « gravissime » par une juridiction et dont le caractère aussi soudain qu’inédit est indiscutable, ont conduit :

 

  • les autorités à recourir à l’état d’urgence sanitaire, puis le renouveler, avec sa cohorte de mesures d’exception « pour faire face à l’épidémie »,
  • les entreprises à devoir réduire de manière drastique leur activité ou même fermer leurs sites pour se conformer aux mesures de confinement,
  • l’activité économique à subir un ralentissement fulgurant, pour ne pas parler d’un coup d’arrêt quasi généralisé.

 

Cet état de fait devrait pouvoir être considéré, au cas par cas, selon la motivation et les circonstances dans lesquelles la rupture de la promesse d’embauche est intervenue, comme un motif légitime.

 

Les juridictions auront certainement à se prononcer à bref délai sur ce point.

 

 

6./       Une voie médiane pourrait être choisie par les parties :

 

Convenir ensemble d’un report de la date d’embauche effective (ou d’une suspension du contrat de travail), dans l’attente de la reprise d’activité.

 

L’accord des parties pour ce report sera formalisé par écrit.

 

Ceci pour éviter à l’employeur de recourir à un autre mode de rupture qui consisterait à intégrer le salarié et considérer ensuite rapidement que l’essai est « insatisfaisant » pour rompre la période d’essai.

 

Ce mode de rupture est évidemment contestable si la décision ne repose pas sur l’appréciation réelle des aptitudes du salarié, mais trouve son fondement uniquement dans la crise sanitaire actuelle et ses conséquences.

 

En procédant ainsi, l’employeur modifie le débat juridique de l’indemnisation de la rupture : le salarié doit alors faire indemniser l’abus de droit de rompre la période d’essai, lequel donne lieu uniquement à l’allocation de dommages-intérêts en fonction du préjudice subi.