La Cour de cassation poursuit sa lente construction jurisprudentielle de la recevabilité des éléments de preuve issus des réseaux sociaux que l’employeur peut produire en défense, en cas de contestation d’une mesure de licenciement.
Dans un arrêt du 20 septembre 2020 (N°19-12.058), la Cour de cassation se prononce, d’une part, sur la possibilité pour un employeur de licencier pour faute un salarié en raison d’éléments d’information publiés sur son compte privé Facebook et, d’autre part, sur la façon dont l’employeur peut rapporter la preuve de cette publication litigieuse de manière licite.
La Cour de cassation décide ainsi qu’un employeur peut produire en justice des éléments extraits du compte Facebook d’un salarié, quand bien même cette production porterait atteinte à la vie privée du salarié, si cette production est indispensable à l’exercice de son droit à la preuve et si l’atteinte commise à la vie privée du salarié est proportionnée au but poursuivi.
L’apport de cet arrêt sur le régime probatoire de la faute commise par un salarié à l’occasion d’une publication sur un réseau social est indéniable.

 

Par Hugues Wedrychowski

 

 

Les faits et la procédure :

 

Une salariée, Chef de projet export de la Société « Petit Bateau » a été licenciée pour faute grave pour avoir publié sur son compte Facebook une photographie de la nouvelle collection printemps/été de l’année à venir, présentée à la date de publication litigieuse uniquement aux commerciaux de la société dans le cadre d’un défilé confidentiel.

 

L’employeur reprochait ainsi à sa salariée d’avoir divulgué des informations confidentielles sur Facebook, en violation de son obligation contractuelle de confidentialité.

 

La salariée a contesté son licenciement.

 

La Cour d’appel saisie de l’affaire a jugé que la faute grave était fondée et a rejeté les demandes indemnitaires de la salariée.

 

 

Le pourvoi formé :

 

Devant la Cour de cassation, la salariée soutenait notamment que :

 

  • L’employeur ne peut accéder aux informations extraites d’un compte Facebook de l’un de ses salariés sans y avoir été autorisé. En conséquence, la publication litigieuse rapportée par l’intermédiaire d’un autre salarié de l’entreprise autorisé à y accéder, était irrecevable.

 

  • La Cour d’appel ne pouvait donc pas retenir que l’employeur n’avait commis aucun fait illicite ou procédé déloyal d’atteinte à la vie privée, au motif qu’il avait été informé de la diffusion de la photographie litigieuse sur le compte Facebook de la salariée par un des « amis » de la salariée travaillant au sein de la même société, sans s’expliquer sur le caractère inopposable, et donc irrecevable, de la preuve invoquée.

 

  • L’employeur ne peut pas porter une atteinte disproportionnée et déloyale au droit au respect de la vie privée du salarié et qu’il ne peut donc pas s’immiscer abusivement dans les publications du salarié sur les réseaux sociaux.

 

  • La Cour d’appel ne pouvait donc pas décider que l’employeur n’avait commis aucun fait illicite ou procédé déloyal d’atteinte à la vie privée quand elle se référait, pour justifier la faute grave, à l’identité et aux activités professionnelles des amis de la salariée sur le réseau Facebook, telles que rapportées par l’employeur et dont il considérait qu’ils travaillaient chez des concurrents, sauf à violer les dispositions de l’article 9 du code civil qui consacre le droit au respect de la vie privée.

 

 

La position de la Cour de cassation :

 

La Cour de cassation ne suit pas l’argumentation de la salariée et rejette son pourvoi.

 

La Chambre sociale rappelle d’abord sa jurisprudence selon laquelle l’employeur ne peut pas avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve (Arrêt du 18 mars 2008, N°06-40.852).

 

Cependant, pour l’affaire qui lui est soumise, la Cour de cassation relève que la publication litigieuse avait été « spontanément communiquée » à l’employeur par un email provenant d’une autre salariée de l’entreprise qui était autorisée à accéder au compte Facebook de la salariée licenciée.

 

De ce fait, le procédé d’obtention de la preuve n’est pas considéré comme déloyal par la Cour de cassation.

 

Puis, au visa combiné de :

 

et

 

La Cour de principe énonce le principe suivant :

 


 

« le droit à la preuve peut justifier la production en justice d’éléments extraits du compte privé Facebook d’un salarié portant atteinte à sa vie privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi »

 


 

 

Il s’agit ainsi de mettre en balance, à l’instar de la Cour européenne des droits de l’homme :

 

  • la protection de la vie privée

et

  • le droit à la preuve,

 

et opérer ainsi un contrôle de proportionnalité en recherchant :

 

  • si la production litigieuse est indispensable à l’exercice du droit à la preuve

et

  • si l’atteinte à la vie privée qui en résulte est proportionnée au but poursuivi

 

Sur ces bases, la Cour examine la question de la production en justice de la preuve ainsi recueillie, notamment sur le point de savoir si elle n’est pas néanmoins attentatoire à la vie privée de la salariée.

 

Sur ce point, la Cour juge que la production en justice par l’employeur d’une photographie extraite du compte privé Facebook de la salariée, auquel il n’était pas autorisé à accéder, et d’éléments d’identification des « amis » professionnels de la mode destinataires de cette publication, constitue bien une atteinte à la vie privée de la salariée.

 

En principe, l’employeur n’aurait pas pu s’en prévaloir comme élément de preuve d’une faute qu’il voudrait sanctionner.

 

Pour autant, la Cour de cassation ouvre une brèche en conditionnant « le droit à la preuve » :

 

  • au caractère indispensable de la production litigieuse pour l’exercice du droit à preuve

et

  • au caractère proportionné de l’atteinte à la vie privée avec le but poursuivi.

 

Examinant ainsi le contrôle de proportionnalité effectué par la Cour d’appel, la Cour de cassation rappelle que les juges d’appel ont constaté que l’employeur pour établir un grief de divulgation par la salariée d’une information confidentielle de l’entreprise auprès de professionnels susceptibles de travailler pour des entreprises concurrentes :

 

  • s’était borné à produire la photographie de la future collection de la société publiée par l’intéressée sur son compte Facebook et le profil professionnel de certains de ses « amis » travaillant dans le même secteur d’activité,

et

  • qu’il n’avait fait procéder à un constat d’huissier que pour contrecarrer la contestation de la salariée quant à l’identité du titulaire du compte.

 

En l’état de ces constatations, la cour d’appel a pu faire ressortir que cette production d’éléments portant atteinte à la vie privée de la salariée :

 

  • était indispensable à l’exercice du droit à la preuve,

 

  • et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires.

 

Le moyen du pourvoi soutenu par la salariée est donc rejeté.

 

Poursuivant l’examen du pourvoi, la Cour de cassation rappelle qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier un licenciement disciplinaire s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (en ce sens : arrêt du 27 mars 2012, N°10-19.915).

 

Dans cette affaire, la Haute cour rappelle que les juges d’appel ont d’abord constaté qu’une clause de confidentialité figurait au contrat de travail de la salariée, puis relevé que la salariée avait publié la photographie litigieuse du défilé sur son compte Facebook comptant plus de 200 « amis » professionnels de la mode travaillant notamment pour des concurrents.

 

En l’état de ces constatations, la Cour de cassation valide l’analyse de la Cour d’appel qui a décidé que cette publication caractérisait un manquement à l’obligation contractuelle de confidentialité de la salariée et constituait une faute grave rendant impossible son maintien dans l’entreprise.

 

Le pourvoi de la salarié est donc intégralement rejeté.

 

 

Pour lire l’arrêt publié sur le site de la Cour de cassation et sa note explicative : cliquez ici.