La Convention n°190 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sur le harcèlement au travail va être ratifiée par la France, après l’autorisation donnée par le Parlement à l’issue d’une procédure législative accélérée.
Une loi du 8 novembre 2021 autorise en effet la ratification de cette Convention qui constitue le premier texte international contraignant visant à lutter contre le harcèlement et les violences au travail.
Nous vous proposons d’examiner les principaux points de cette Convention et ceux de l’étude d’impact réalisée dans le cadre du projet de loi.

 

 

Par Hugues Wedrychowski

 

 

La Conférence de l’OIT, réunie pour sa 108e session, dite du centenaire, a adopté à une très large majorité le 21 juin 2019, sa convention n°190 concernant l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, consacrant ainsi le droit « de toute personne à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement, y compris de violence et de harcèlement fondés sur le genre ».

 

Cette convention est entrée en vigueur le 25 juin 2021. A date, elle n’a été ratifiée que par 9 pays (Argentine, Equateur, Fidji, Grèce, Italie, Maurice, Namibie, Somalie et Uruguay)… 130 pays doivent encore le faire.

 

En France, le Parlement par une loi n°2021-1458 du 8 novembre 2021 vient d’autoriser sa ratification.

 

Nous vous proposons une revue de l’instructif Préambule de cette Convention, puis de ses principales dispositions.

 

S’agissant des conséquences de cette ratification, l’étude d’impact faite par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi considère que le dispositif légal actuel est conforme à cette Convention.

 

 

Le Préambule de la Convention n°190

 

Les termes du Préambule de cette convention énoncent les principes directeurs et objectifs qui ont guidé l’élaboration de cette Convention et révèlent tous les enjeux de la lutte contre harcèlement au travail :

 


 

Reconnaissant que la violence et le harcèlement dans le monde du travail peuvent constituer une violation des droits humains ou une atteinte à ces droits, et que la violence et le harcèlement mettent en péril l’égalité des chances et sont inacceptables et incompatibles avec le travail décent ;

 

Reconnaissant l’importance d’une culture du travail fondée sur le respect mutuel et la dignité de l’être humain aux fins de la prévention de la violence et du harcèlement ;

 

Rappelant que les Membres ont l’importante responsabilité de promouvoir un environnement général de tolérance zéro à l’égard de la violence et du harcèlement pour faciliter la prévention de tels comportements et pratiques, et que tous les acteurs du monde du travail doivent s’abstenir de recourir à la violence et au harcèlement, les prévenir et les combattre ;

 

Reconnaissant que la violence et le harcèlement dans le monde du travail nuisent à la santé psychologique, physique et sexuelle, à la dignité et à l’environnement familial et social de la personne ;

 

Reconnaissant que la violence et le harcèlement nuisent aussi à la qualité des services publics et des services privés et peuvent empêcher des personnes, en particulier les femmes, d’entrer, de rester et de progresser sur le marché du travail ;

 

Notant que la violence et le harcèlement sont incompatibles avec la promotion d’entreprises durables et ont un impact négatif sur l’organisation du travail, les relations sur le lieu de travail, la motivation des travailleurs, la réputation de l’entreprise et la productivité ;

 

Reconnaissant que la violence et le harcèlement fondés sur le genre touchent de manière disproportionnée les femmes et les filles, et reconnaissant également qu’une approche inclusive, intégrée et tenant compte des considérations de genre, qui s’attaque aux causes sous-jacentes et aux facteurs de risque, y compris aux stéréotypes de genre, aux formes multiples et intersectionnelles de discrimination et aux rapports de pouvoir inégaux fondés sur le genre, est essentielle pour mettre fin à la violence et au harcèlement dans le monde du travail ;

 

Notant que la violence domestique peut se répercuter sur l’emploi, la productivité ainsi que sur la santé et la sécurité, et que les gouvernements, les organisations d’employeurs et de travailleurs et les institutions du marché du travail peuvent contribuer, dans le cadre d’autres mesures, à faire reconnaître les répercussions de la violence domestique, à y répondre et à y remédier ;

 


 

 

Sur ces bases, la Convention définit explicitement, et pour la première fois, les violences et le harcèlement au travail comme étant :

 

« L’ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, ou de menaces de tels comportements et pratiques, qu’ils se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, qui ont pour but de causer, causent ou sont susceptibles de causer un dommage d’ordre physique, psychologique, sexuel ou économique, et comprend la violence et le harcèlement fondés sur le genre » (article 1).

 

 

Les principales dispositions de la Convention n°190

 

La Convention n°190 énumère de manière large les personnes protégées (les travailleurs quel que soit leur statut contractuel, les apprentis, les stagiaires, les travailleurs licenciés, les bénévoles et les personnes en recherche d’emploi), y compris les « travailleurs de l’économie informelle » et ne limite pas son application au seul critère du lieu de travail, mais en se référant plus largement au « monde du travail » (article 2).

 

Elle vise également les comportements adoptés « à l’occasion, en lien, avec ou du fait du travail », adoptant un champ d’application très large :

    • le lieu de travail,
    • le lieu où le travailleur est payé, prend ses pauses ou repas, ainsi que les installations sanitaires et vestiaires,
    • à l’occasion de déplacements, de voyages, de formations, d’événements ou d’activités sociales liés au travail,
    • dans le cadre de communications liées au travail, y compris celles effectuées au moyen de technologies de l’information et de la communication,
    • dans le logement fourni par l’employeur,
    • pendant les trajets entre le domicile et le lieu de travail.

 

Enfin, de nombreuses obligations incombent aux Etats membres de l’OIT ayant ratifié cette Convention, notamment des politiques de prévention, de formation et de sensibilisation visant à interdire et sanctionner les violences et le harcèlement au travail.

 

Des mesures pour assurer le contrôle et le suivi de l’application de la Convention doivent être ainsi mises en place afin de garantir aux victimes « un accès aisé à des moyens de réparations appropriées et efficaces ».

 

Le même jour, la recommandation n° 206 concernant l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail a également été adoptée par la Conférence de l’OIT.

 

Cette recommandation (directive non contraignante) vise à compléter les dispositions de la Convention n° 190 et à orienter les politiques des États.

 

 

Les conséquences de la ratification de la Convention sur la réglementation interne

 

D’après l’étude d’impact jointe au projet de loi, la législation française est conforme à cette Convention.

 

Cette étude d’impact réalisée par le Gouvernement énonce en détail les dispositifs légaux existants, ainsi que les principes jurisprudentiels en résultant :

 


 

Il incombe à l’employeur une obligation générale de sécurité. Au titre de l’article L.4121-1 du Code du travail, il est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Cette obligation implique de mettre en œuvre tous les moyens pour prévenir les risques professionnels.

Sur la question spécifique des violences sexistes et sexuelles, le cadre normatif français a été récemment renforcé pour améliorer la prévention de ces actes et l’accompagnement des victimes au sein des entreprises.

Ainsi, la loi 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel impose la désignation de deux référents en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, l’un désigné parmi les membres du Comité social et économique et l’autre désigné directement par l’employeur pour les entreprises d’au moins 250 salariés.

Plus globalement, les dispositions en vigueur du code pénal et du code du travail, énumérées ci- dessous, fournissent d’ores et déjà un cadre légal et réglementaire en adéquation avec les différentes exigences de la Convention

Le code du travail définit et réprime le harcèlement moral (art. L.1152-1 du code du travail), le harcèlement sexuel (art. L.1153-1) et, depuis la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, les agissements sexistes (art. L.1142-2-1).

Depuis la loi n°2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, le harcèlement sexuel est défini et réprimé dans le Code pénal (art. 222-33) dans des termes plus larges que dans le code du travail.

Le harcèlement moral est également défini et réprimé dans le Code pénal (art. 222-33-2).

La jurisprudence française permet de couvrir tant le harcèlement sexuel survenu sur le lieu de travail qu’en dehors du temps et du lieu de travail en présence d’un abus de pouvoir hiérarchique dans le but d’obtenir des faveurs sexuelles, ce qui est en conformité avec les cas prévus à l’article 3 de la Convention.

De plus, la Cour de cassation juge qu’un fait unique peut suffire à caractériser le harcèlement sexuel et que la demande de réparation peut être dirigée contre l’employeur et pas uniquement l’auteur des faits au titre du manquement à l’obligation de sécurité́ qui pèse sur lui et qui génère un préjudice spécifique.

Le cyber-harcèlement, qu’il soit moral ou sexuel, est également couvert par les articles 222-33 et 222-33-2-2 du code pénal.

La violence au travail est définie par l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail.

Elle se produit « lorsqu’un ou plusieurs salariés sont agressés dans des circonstances liées au travail ».

Cette définition permet de couvrir un large champ de comportements, allant du manque de respect à la manifestation de la volonté de nuire, de détruire, de l’incivilité à l’agression physique. Cette violence peut prendre la forme d’agressions verbales, d’agressions comportementales, notamment sexistes ou encore d’agressions physiques.

Enfin, la responsabilité civile d’un employeur, au titre de son obligation générale en matière de sécurité, peut être engagée pour tous types de violences (physiques, verbales, psychologiques), dont serait l’objet un travailleur dans le cadre de son activité de la part d’un autre travailleur ou de toute personne exerçant sur lui une autorité de droit ou de fait.

Cette responsabilité découle de l’article L.4121-1 du code du travail en application duquel « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Il convient de préciser que le fait qu’un acte de violence ou de harcèlement dû à un différend professionnel survienne en dehors du temps et du lieu de travail ne fait pas obstacle au constat d’un manquement grave à cette obligation.

L’employeur doit intervenir et utiliser son pouvoir disciplinaire dans ces situations. A défaut, une prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié victime des agissements peut être déclarée justifiée et emporter les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ainsi, la législation française issue de la combinaison des différentes sources de droit, droit civil, droit pénal ou droit du travail, permet de conclure que le dispositif légal français couvre toutes les situations de violence et de harcèlement au travail.

 


 

La ratification par la France de la Convention OIT n°190 n’imposera donc aucune modification du droit interne.

 

Cette interprétation est néanmoins contestée par plusieurs organisations syndicales, qui souhaitent une amélioration du droit interne.

 

Le rapport de Mme Duranton, Sénatrice et rapporteure de la Commission des affaires étrangères du Sénat saisie de cette loi, formule ainsi 7 propositions pour renforcer les dispositifs actuels de lutte contre les violences et le harcèlement au travail, notamment la protection contre le licenciement des personnes victimes de violences domestiques.

 

Ces propositions sont organisées autour de 4 thématiques :

 

  1. Renforcer les prérogatives des référents harcèlement et les moyens qui leur sont alloués

Proposition n°1 : Dresser le bilan de la mise en place des référents harcèlement et apporter les ajustements nécessaires (effectifs, missions, prérogatives, formation, moyens, etc.) pour garantir leur efficacité.

 

  1. Améliorer la formation et la vigilance dans le domaine de la prévention du harcèlement

Proposition n°2 : Imposer aux cadres intermédiaires et supérieurs, ainsi qu’aux personnels des ressources humaines, une obligation de formation sur la question de la violence et du harcèlement au travail.

Proposition n°3 : Étendre le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre aux cas de violence et de harcèlement au travail.

 

  1. Prendre en compte les violences domestiques dans la sphère professionnelle

Proposition n°4 : Inclure un volet consacré à la violence et au harcèlement dans le travail d’élaboration du prochain « plan santé au travail » (PST 4).

Proposition n°5 : Faire de la violence et du harcèlement au travail un thème obligatoire des négociations annuelles sur la qualité de vie au travail.

Proposition n°6 : Créer de nouveaux droits pour les victimes, en s’inspirant des meilleures pratiques à l’étranger, pour leur permettre de se mettre en sécurité et de se reconstruire.

 

  1. Garantir l’autonomie économique des victimes de violence

Proposition n°7 : Protéger les victimes de violences domestiques contre le licenciement.

 

Ces propositions seront sans doute reprises et mises en oeuvre dans le cadre de prochains travaux législatifs.

 

 

Pour lire la plaquette du Bureau International du Travail sur la convention n°190 de l’OIT : cliquez ici