Un salarié qui réclame le paiement d’heures supplémentaires doit simplement présenter « des éléments suffisamment précis », pour que l’employeur soit à même de répondre à sa demande. Si le Juge exige davantage du salarié, il fait, à tort, peser sur lui seule la charge de la preuve.
Dans un arrêt du 9 juillet 2025 (N°24-16397), la Chambre sociale décide que le salarié qui ne produit pas de décompte, ni de relevé détaillé, mais fournit divers éléments au soutien d’une amplitude de travail importante (emails adressés tôt le matin et tard le soir, attestations, justificatifs de déplacement… etc) donne au Juge des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre.
Un constat s’impose : le régime de la preuve partagé preuve s’allège toujours plus en faveur du salarié.

 

 

Par Hugues Wedrychowski

 

Le régime probatoire des heures supplémentaires

 

En cas de litige sur l’existence ou le nombre d’heures de travail effectuées, la charge de la preuve est partagée entre le salarié et l’employeur (Art. L.3171-4).

 

Le salarié doit présenter des éléments « suffisamment précis » pour permettre à l’employeur, responsable du suivi du temps de travail, d’y répondre par ses propres justificatifs (Arrêt de principe qui consacre le régime de preuve partagée : 18 mars 2020, N°18-10919).

 

Il peut s’agir, par exemple, d’un relevé d’heures, mais non de documents imprécis ou invérifiables.

 

L’employeur doit alors produire les pièces attestant des horaires réellement réalisés, notamment les documents de suivi qu’il est tenu d’établir.

 

Le juge apprécie ces éléments, pouvant recourir à des mesures d’instruction si nécessaire.

 

 

Les faits et la décision de la Cour d’appel

 

Une salariée réclamait le paiement d’heures supplémentaires, de repos compensateurs et une indemnité pour travail dissimulé.

 

La Cour d’appel saisie a rejeté sa demande, estimant qu’elle ne fournissait ni relevé ni décompte détaillé de ses horaires, et que ses pièces ne permettaient pas de corroborer ses prétentions.

 

Les juges d’appel relevaient que :

 

  • La salariée se bornait à avancer un forfait global de neuf heures de travail par jour sur cinq jours, sans en justifier ;
  • Son statut lui ouvrait droit à 14 jours ouvrés supplémentaires en plus des cinq semaines de congés payés ;
  • Les courriels expédiés tôt ou tard ne démontraient pas l’amplitude réelle de son temps de travail, le salarié pouvant se livrer, avant ou après, à des activités personnelles ;
  • Elle bénéficiait d’une journée de télétravail depuis septembre 2017 ;
  • En sa qualité, elle avait elle-même pour mission le contrôle du temps de travail des salariés ;
  • Les attestations de collègues, mettant en avant son investissement et sa présence, ne pouvaient se substituer à un véritable décompte des heures.

 

 

La position de la Cour de cassation

 

La Cour de cassation adopte une position inverse.

 

Elle juge que les éléments produits étaient, en l’espèce, « suffisamment précis » pour permettre à l’employeur de répondre.

 

La Chambre sociale rappelle les principes essentiels : lorsque les salariés d’un service ou d’un atelier n’ont pas le même horaire collectif, l’employeur doit établir, pour chacun d’eux, les documents retraçant la durée du travail, les repos compensateurs acquis et leur prise effective (Art. L.3171-2).

 

Ces documents doivent être conservés et tenus à la disposition de l’inspection du travail (Art. L.3171-3).

 

En cas de contestation, l’employeur est tenu de produire devant le juge les éléments établissant les horaires réellement effectués (Art. L.3171-4).

 

Le juge, après avoir examiné les pièces fournies par les deux parties, peut ordonner toute mesure d’instruction jugée utile. Lorsque le suivi des horaires est assuré par un système d’enregistrement, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

 

Dans la continuité d’une jurisprudence désormais constante (15 janv. 2025, N°23-19046 ; Cass. soc. ; 29 avr. 2025, N°24-11432), la Cour de cassation a donc censuré l’arrêt d’appel.

 


 

8. Pour débouter la salariée de sa demande en paiement d’un rappel de salaire pour heures supplémentaires, l’arrêt retient que la salariée produit à l’appui de sa demande sa fiche de poste, sa délégation de pouvoirs, la description de ses tâches, plusieurs attestations de collègues confirmant sa charge de travail, ses mandats de représentation et de participation à de nombreux colloques, congrès, formations, ses justificatifs de transports et ses notes de frais, des courriels envoyés tôt le matin ou tard le soir et qu’elle ne produit aucun relevé des heures travaillées, aucun décompte des heures accomplies et de la somme réclamée, ni aucune pièce corroborant sa demande.

9. Il ajoute que la salariée présente un montant global et forfaitaire de 9 heures par jour sur cinq jours sans en justifier, alors qu’un tel calcul est proscrit par la Cour de cassation, que conformément à son statut, elle avait droit à quatorze jours ouvrés en plus des cinq semaines de congés payés, que les courriels envoyés tôt le matin ou tard le soir ne prouvent pas l’amplitude horaire de travail dans la mesure où le salarié peut vaquer, avant ou après, à ses occupations personnelles, qu’elle disposait d’un jour de télétravail depuis le mois de septembre 2017, que le contrôle du temps de travail des salariés entrait dans ses attributions et que les attestations produites par la salariée faisant éloge de son investissement et de sa présence sur le site ne sont pas de nature à remplacer le décompte qui fait défaut.

10. En statuant ainsi, alors que la salariée présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre, la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur la seule salariée, a violé le texte susvisé.

 


 

 

En exigeant de la salariée la production d’un décompte complet et en faisant reposer la charge de la preuve exclusivement sur elle, les juges du fond ont méconnu les textes applicables.

 

L’affaire est dès lors renvoyée devant une autre Cour d’appel.

 

 

Pour lire l’arrêt sur le site de la Cour de cassation : cliquer ici