La démarche prévenante de l’employeur consistant à informer le salarié par téléphone de sa décision de le licencier peut se révéler dangereuse à l’issue d’une procédure de licenciement.
La Cour de cassation rappelle dans un arrêt du 28 septembre 2022 (N°21-15.606) que la rupture du contrat de travail se situe à la date où l’employeur a manifesté sa volonté d’y mettre fin, soit au jour de l’envoi de la lettre recommandée avec AR notifiant la rupture.
Dès lors, si l’employeur décide de prévenir par téléphone le salarié de sa décision de le licencier le même jour, il doit le faire après avoir expédié la notification de licenciement.
A défaut de pouvoir établir cette chronologie précise, l’employeur s’expose à se voir reprocher un licenciement verbal.

 

 

Par Hugues Wedrychowski

 

 

Dans le cadre d’une procédure de licenciement, à l’issue du délai légal de réflexion, l’employeur peut choisir de prévenir le salarié de sa décision de rompre le contrat de travail, notamment pour le prévenir de ne plus se présenter sur le lieu de travail compte tenu de la décision prise (une dispense d’exécution du préavis étant souvent mise en œuvre).

 

Ce type de démarche, pourtant courante, reste risquée si l’employeur ne peut pas établir le cadencement imposé par la jurisprudence, à savoir l’envoi postal préalable de la notification de licenciement.

 

A défaut, l’employeur s’expose à ce que le salarié soutienne avoir fait l’objet d’un licenciement verbal, lequel est nécessairement dénué de cause réelle et sérieuse (Cass. Soc., 12 décembre 2018, N°16-27.537).

 

 

Les faits

 

Un salarié fait l’objet d’une mesure de licenciement par courrier AR en date du 15 novembre 2016 qu’il recevra le 16 novembre suivant.

 

Ce même 15 novembre en fin de journée, l’employeur contacte le salarié pour l’informer de son licenciement et lui demander de ne pas se présenter le lendemain à son poste de travail.

 

Le salarié conteste son licenciement et soutient avoir fait l’objet d’un licenciement verbal dès le 15 novembre, avant même d’avoir reçu sa lettre de licenciement.

 

La Cour d’appel de Grenoble saisie du litige juge le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, retenant que le salarié a reçu un appel de son employeur concomitamment à l’envoi du courrier de licenciement et que ce dernier démontre ainsi avoir été licencié verbalement par téléphone.

 

L’employeur forme un pourvoi et soutient que la juridiction d’appel :

 

  • N’aurait pas dû déduire le caractère concomitant de l’appel téléphonique et de l’envoi de la lettre de notification du licenciement de leur seule date pour retenir l’existence d’un licenciement verbal ;

 

  • Aurait dû rechercher si, au moment de l’appel téléphonique, la lettre de licenciement n’avait pas été déjà expédiée, ceci pour permettre à la Cour de cassation d’exercer son contrôle de la chronologie des faits et vérifier si le contrat de travail n’était pas déjà rompu avant l’appel litigieux.

 

 

La position de la Cour de cassation

 

La Chambre sociale suit l’argumentation de l’employeur.

 

Au visa de l’article L.1232-6 du Code du travail, la Cour de cassation applique sa jurisprudence constante selon laquelle la rupture du contrat de travail se situe à la date où l’employeur a manifesté sa volonté d’y mettre fin, c’est-à-dire au jour de l’envoi de la lettre notifiant la rupture (Cass. soc., 4 mars 2015, N°13-16.148).

 

Sur cette base, la Cour d’appel aurait dû vérifier si la notification de licenciement par courrier recommandé AR n’avait pas été expédiée avant l’échange téléphonique.

 

Dans ce cas, ayant déjà irrévocablement manifesté sa volonté de rompre le contrat de travail par l’envoi postal de la notification, avant même d’informer le salarié de la teneur de sa décision, l’employeur s’est conformé à la procédure de licenciement et aucun licenciement verbal ne peut lui être reproché.

 

En l’espèce, il était établi que l’échange téléphonique intervenu à 17H50 était postérieur à l’envoi du courrier de licenciement le même jour.

 

Le raisonnement de la Chambre sociale est le suivant :

 


 

Vu l’article L.1232-6 du code du travail :

 

  1. Selon ce texte, lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur. Elle ne peut être expédiée moins de deux jours ouvrables après la date prévue de l’entretien préalable au licenciement auquel le salarié a été convoqué.

 

  1. La rupture du contrat de travail se situe à la date où l’employeur a manifesté sa volonté d’y mettre fin, c’est-à-dire au jour de l’envoi de la lettre recommandée avec demande d’avis de réception notifiant la rupture.

 

  1. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’arrêt constate que ce licenciement a été notifié au salarié par un courrier qui lui est parvenu le 16 novembre 2016 et que le 15 novembre 2016 vers 17 heures 50, le salarié a reçu un appel de son employeur qui lui a notifié son licenciement et lui a indiqué qu’il ne devait pas se présenter le lendemain. Il en déduit que le salarié démontre avoir été licencié verbalement par téléphone concomitamment à l’envoi du courrier de licenciement par l’employeur.

 

  1. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la lettre recommandée avec demande d’avis de réception notifiant la rupture du contrat de travail n’avait pas été expédiée au salarié avant la conversation téléphonique, de sorte que l’employeur avait déjà irrévocablement manifesté sa volonté d’y mettre fin, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

 


 

 

Cet arrêt permet de retenir que :

 

  • La rupture du contrat de travail se situe à la date où l’employeur a manifesté sa volonté d’y mettre fin, c’est-à-dire au jour de l’envoi de la lettre de licenciement en courrier recommandée avec AR ;

 

  • Le cadencement de la procédure doit être scrupuleusement respecté : convocation, tenue de l’entretien préalable (au plus tôt 5 jours ouvrables décomptés entre le lendemain du jour de la remise ou celle de la 1ère présentation postale de la convocation et la veille de l’entretien), respect du délai légal de réflexion (2 jours ouvrables minimum à compter du lendemain de l’entretien préalable) et notification de la décision par courrier recommandé avec AR ;

 

  • La conservation des récépissés de tous les actes de la procédure est importante, notamment celui du courrier AR notifiant le licenciement pour établir la date et l’heure du dépôt du courrier, pour établir l’exacte chronologie de la procédure si besoin.

 

 

Pour lire l’arrêt sur le site de la Cour de cassation : cliquez ici