Même au cœur de cette période de crise sanitaire du Covid-19 où l’emploi doit être préservé « quoiqu’il en coute », l’employeur peut être amené à envisager une mesure de licenciement à l’encontre d’un salarié. La procédure légale doit être aménagée, en tenant compte des circonstances exceptionnelles mais aussi des exigences jurisprudentielles connues à date.

Par Hugues Wedrychowski et Camille Josse

 

Les conséquences de cette crise sanitaire sur les restrictions de déplacements et le fonctionnement normal des services Postaux doivent évidemment être prises en compte pour aménager, autant que possible, la procédure habituelle de convocation et de tenue de l’entretien préalable si l’engagement de la procédure de licenciement ne peut être différé.

 

A date, la procédure légale actuelle n’a pas été adaptée par les ordonnances prises en application de la loi d’urgence du 23 mars 2020 pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

 

Il n’existe donc aucune disposition réglementaire permettant de déroger au principe d’une rencontre physique pour la tenue de l’entretien préalable.

 

La tenue d’un tel entretien étant actuellement particulièrement difficile à réaliser en période de confinement, la prudence recommande donc de bien étudier la question de l’opportunité d’engager une procédure de licenciement en plein confinement.

 

Si toutefois les faits ou griefs reprochés au salarié imposent d’en tirer rapidement les conséquences sur le maintien ou non du contrat de travail, en l’état des pratiques observées, nos recommandations d’aménagement de la procédure sont les suivantes.

 

1°/ Concernant la fixation de la date de l’entretien préalable :

 

L’employeur doit convoquer le salarié dont il envisage le licenciement par lettre recommandée avec accusé réception ou par lettre remise en main propre contre décharge.

 

La jurisprudence a précisé que ces 2 formes de convocation ne constituaient pas une « formalité substantielle », mais permettaient de conférer une date certaine à la remise du courrier pour vérifier le respect des délais.

 

Un délai de 5 jours ouvrables doit ainsi être respecté à compter de jour de la présentation du courrier AR ou de remise du courrier. Pour rappel, ce délai se décompte à compter du lendemain du jour de remise du courrier et jusqu’à la veille de l’entretien préalable.

 

Dans le contexte actuel, les délais d’acheminement postal sont particulièrement impactés (4 à 8 jours sont régulièrement constatés).

 

Notre 1ère recommandation concernant la fixation de la date de l’entretien est donc la suivante :

  • La date de l’entretien doit, par sécurité, être fixée à 10 jours ouvrables au moins du lendemain de l’envoi du courrier en AR.

 

2°/ Concernant les modalités d’envoi de la convocation :

 

La remise du courrier en main propre contre décharge paraît actuellement compromise du fait du confinement global.

 

Si le salarié est néanmoins présent à son poste de travail, la remise pourra intervenir sous réserve de garantir, lors de l’échange du courrier et de la signature de la décharge, le respect des gestes barrières en vigueur dans l’entreprise.

 

L’envoi d’un courrier recommandé AR sera évidemment la modalité la plus utilisée, tout en tenant compte du ralentissement actuel de la distribution des courriers.

 

Le courrier recommandé en ligne de la Poste pourra être utilisé (même si une surcharge du service a pu être constatée) ou d’autres services privés en ligne (ar24, par exemple, qui nécessite l’obtention d’une clé de certification)

 

L’envoi du courrier recommandé sera doublé de l’envoi d’une copie scannée du courrier de convocation par courriel, sur la messagerie professionnelle et la messagerie personnelle du salarié si ce dernier l’a communiquée à l’employeur.

 

Le courriel d’accompagnement pourra contenir une demande faite au salarié d’accuser réception de l’envoi réalisé par e-mail, pour vérifier l’obtention de l’information selon laquelle une procédure est engagée à son encontre.

 

Cet accusé de réception par e-mail ne saurait pour autant suppléer, en l’état, un accusé de réception postal.

 

Si un délai plus rapproché est souhaité ou imposé par la nature des griefs, d’autres formes de remise d’une convocation à un entretien préalable sont envisageables :

 

Toutefois, ces deux modalités sont aussi tributaires actuellement des contingences liées au confinement (délai d’acheminement – disponibilité des huissiers).

 

3°/ Concernant la tenue de l’entretien préalable :

 

3.1. A date, il est rappelé que la procédure légale impose la tenue d’un entretien en présentiel, le salarié pouvant être assisté s’il le souhaite.

 

Si les locaux de l’entreprise sont toujours accessibles et que les mesures barrières nécessaires à la protection de la santé des participants ont été préalablement mises en œuvre par l’employeur (notamment l’utilisation d’une pièce bureau permettant le respect des règles de distanciation physique, mise à disposition de gel désinfectant, mouchoirs et masques), la tenue de l’entretien en présentiel peut s’envisager.

 

Dans cette hypothèse de la possibilité de la tenue en présentiel de l’entretien, la convocation rappellera utilement les mesures de sécurité à respecter lors de l’entretien.

 

3.2 Si l’entretien physique n’est pas possible ou envisageable, malgré l’absence actuelle d’adaptation de la procédure légale, la pratique permet d’identifier deux aménagements possibles :

 

  • Proposer la tenue de l’entretien préalable par visioconférence ou par audioconférence:

 

Certes, une jurisprudence ancienne rappelle qu’une conversation téléphonique ne saurait remplacer l’entretien préalable.

Une Cour d’appel a ainsi récemment décidé que le salarié privé de la possibilité d’une rencontre physique avec son employeur, alors que l’entretien préalable s’était tenu par Skype et qu’il n’était pas rapporté la preuve de l’accord du salarié pour cet aménagement de procédure, pouvait être indemnisé du préjudice subi évalué à hauteur de 500 € (le licenciement ayant par ailleurs été reconnu comme valide – CA Grenoble 7 janvier 2020, n°17/02442).

Pour autant, une autre Cour d’appel a déjà admis la validité d’un entretien préalable par visioconférence dès lors que les parties en sont d’accord (CA Rennes, 11 mai 2016 n°14/08483), tandis qu’une autre Cour d’appel ne l’a pas totalement proscrit (CA Bourges 9 janvier 2018 n°18/00201) tout en décidant que le dispositif utilisé ne permettait pas de s’assurer que seul le représentant de l’employeur était présent à distance pour tenir l’entretien et que la procédure était, de ce fait, viciée.

Au visa de ces décisions, la convocation à entretien préalable « aménagée » pourrait alors :

  • Proposer cette modalité de tenue de l’entretien en rappelant que les circonstances exceptionnelles actuelles de crise sanitaire ne permettent pas de tenir l’entretien en présentiel,
  • Mentionner que le salarié peut refuser cette modalité, en précisant qu’il doit alors en informer par tout moyen l’employeur (e-mail ou SMS), pour pouvoir utilement en tirer les conséquences sur le maintien de l’entretien ou un autre aménagement de la procédure,
  • Indiquer au salarié que s’il accepte cette modalité, il doit le confirmer par tout moyen à l’employeur (e-mail ou SMS), pour pouvoir établir ultérieurement la réalité de son accord,
  • Préciser le mode de connexion à l’audio ou visioconférence (lien URL ou numéro de téléphone à composer),
  • Indiquer que le conseiller du salarié peut se joindre à cette conférence si le salarié convoqué le souhaite et lui rappeler qu’il doit transmettre les coordonnées de ce conseiller pour permettre l’organisation de la conférence avec lui.
  • Rappeler enfin que la conférence ne fera l’objet d’aucun enregistrement, pour se conformer aux exigences jurisprudentielles sur ce point,

 

Si l’entretien préalable est réalisé dans ces conditions, la notification de licenciement rappellera utilement l’aménagement proposé dans le cadre de la convocation et indiquera que le salarié et le conseiller l’assistant, le cas échéant, ont donné leur accord.

 

Si l’entretien ne peut pas se tenir par audio ou visioconférence, soit parce que le salarié refuse, soit parce que cet aménagement n’est pas envisageable par l’employeur, il nous parait également possible de tenir compte des circonstances actuelles pour :

 

  • Proposer la réalisation de l’entretien préalable par le biais d’un échange de courriels:

Cette modalité est recommandée en doctrine pour un salarié absent pour raison de santé ou incarcéré quand le report de l’entretien n’est pas envisageable.

La situation exceptionnelle actuelle permet à notre avis d’y recourir, tout en s’attachant à maintenir un niveau de garantie procédurale équivalent à celui prévu par la procédure légale, bien que seul un entretien physique soit prévu à date.

 

L’aménagement de la procédure interviendrait alors dans les conditions suivantes :

 

  • La convocation à entretien rappellerait qu’en cas de refus par le salarié de la tenue de l’entretien par audio ou visioconférence, l’entretien serait alors réalisé par un échange de courriels.
  • Au jour fixé de l’entretien et passée l’heure prévue de l’entretien, à défaut de connexion du salarié permettant de constater (ou de confirmer) son refus d’accepter la 1ère modalité proposée, l’employeur adresserait au salarié, à délai rapproché et par courriel, l’énonciation écrite des motifs et griefs retenus à son encontre dans le cadre de la procédure.

NB : Un soin particulier devra être apporté à la rédaction de cette énonciation écrite, le salarié disposant d’un support sur la base duquel il pourra présenter ses observations et critiquer ensuite les « variations » apportées par l’employeur dans l’éventuelle notification qui suivrait.

  • L’énonciation écrite des motifs mentionnera que l’employeur sollicite du salarié qu’il présente ses éventuelles observations écrites, par l’envoi d’un courriel (parallélisme des formes) dans un délai requis.
  • L’énonciation écrite rappellera que le salarié peut, s’il le souhaite, se faire assister par un conseiller du salarié pour la présentation écrite de ses observations.
  • Un délai sera imparti au salarié pour présenter ses éventuelles observations : 3-4 jours ouvrables parait un délai raisonnable. L’énonciation écrite des griefs indiquera que ce délai est impératif et qu’à compter de son expiration l’employeur pourra prendre sa décision, passés 2 jours ouvrables

 

Si l’entretien préalable est réalisé dans ces conditions, la notification de licenciement rappellera utilement l’aménagement proposé dans le cadre de la convocation, indiquera aussi que ni le salarié, ni le conseiller l’assistant le cas échéant, ne s’y sont opposés et qu’il a été tenu compte des observations écrites éventuelles transmises dans le délai de réflexion de l’employeur.

 

Il est enfin rappelé que la notification de licenciement doit impérativement intervenir par courrier recommandé avec AR. Les difficultés actuelles exposées pour l’envoi d’une convocation à entretien préalable par la Poste sont donc identiques pour la notification de licenciement.

 

3.3. Si le salarié n’apporte aucune réponse à l’employeur (ni sur l’aménagement de la procédure proposé, ni sur la demande d’observations écrites) et ne sollicite pas de report de l’entretien, l’employeur aura un arbitrage forcément délicat à effectuer :

 

  • Soit, considérer qu’il a proposé des ajustements suffisants à la procédure légale compte tenu des circonstances exceptionnelles actuelles et décider de poursuivre la procédure en notifiant sa décision à l’issue du délai légal de réflexion.

 

  • Soit, considérer que le silence du salarié l’expose à une remise en cause quasi certaine de la régularité de la procédure de licenciement et décider de reporter l’entretien préalable à une autre date (en tenant compte de la problématique de délai de prescription du fait fautif) pour sécuriser sa procédure.

 

4°/ L’arbitrage évoqué (décider de poursuivre la procédure ou la suspendre) pourra évidemment être tranché en tenant compte des éléments du dossier et du risque indemnitaire.

 

En effet, sur le fond, si les faits fautifs ou griefs paraissent suffisamment établis, l’employeur pourra considérer que la légitimité du licenciement est « défendable » en cas de contentieux.

 

Si le licenciement est jugé fondé sur une cause réelle et sérieuse, l’éventuelle indemnité pour irrégularité de procédure allouée au salarié ne pourra pas être supérieure à 1 mois de salaire.

 

En revanche, si le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse, le cumul est exclu entre les dommages intérêts alloués pour réparer le préjudice subi du fait du licenciement et l’indemnité pour irrégularité de la procédure.

 

L’approche du risque indemnitaire en cas de contentieux pourra donc intégrer ces deux composantes :

 

  • Soit le licenciement est infondé: le barème Macron sera appliqué.

Schématiquement : 1 mois de salaire par année d’ancienneté jusqu’à 10 ans, puis un demi-mois à compter de la 11ème année, plafonné à 20 mois. Le plancher est fixé à 3 mois à compter de 2 ans d’ancienneté.

Si licenciement est jugé nul ou discriminatoire, 6 mois minimum sont alloués au salarié (au-delà de ce minimum, c’est en fonction du préjudice subi dont la preuve doit être rapportée).

 

  • Soit le licenciement est fondé mais la procédure est invalidée: le risque indemnitaire est limité à 1 mois de salaire.