Le projet de loi qui porte la réforme des retraites actuellement soumis au Parlement traite dès son 2ème article de l’une des priorités pour garantir sa pérennité : celui de l’emploi des seniors qui doivent pouvoir travailler au-delà de 60 ans.
L’équilibre du financement du système de retraite par répartition en dépend, comme celui du maintien en activité des salariés dont l’âge de départ en retraite va être reculé.
Or, en 2021, seules 35 % en moyenne des personnes âgées de 60 à 64 ans sont en situation d’emploi et moins de 20% à compter de 64 ans.
Le projet de loi prévoit donc la création d’un « Index Seniors » contenant des indicateurs de suivi de la politique menée en matière de recrutement et de maintien en emploi dont la publication sera obligatoire pour les entreprises d’au moins 300 salariés, le non respect de cette obligation étant sanctionnée par une pénalité assise sur un pourcentage de la masse salariale.
Les débats parlementaires autour de ce nouveau dispositif seront intéressants à suivre et révèleront si cette réforme se donne les moyens de sa réussite.
D’ores et déjà très controversé, un autre risque est identifié : s’il est maintenu dans cette loi, ce dispositif pourrait être remis en cause par le Conseil Constitutionnel comme constituant un « cavalier social », étant hors du champ financier d’un projet de loi de financement rectificatif.
* Mise à Jour (14/02) : L’Assemblée nationale au stade de la 1ère lecture a écarté ce dispositif le 14 février 2023 (253 voix Contre / 203 voix Pour / 459 suffrages exprimés sur 467 votants). Cet Index pourrait cependant être réintroduit dans la suite de la navette parlementaire concernant ce projet de loi.
** Mise à Jour (06/03) : Le Sénat a rétabli ce dispositif le 6 mars 2023 en adoptant l’article 2 du projet de loi (244 voix Pour / 96 voix Contre / 340 suffrages exprimés sur 343 votants). Cet Index est imposé aux entreprises de 300 salariés et plus alors que le Gouvernement avait réintégré ce dispositif en l’étendant aux entreprises de 50 salariés et plus.
*** Mise à Jour (16/03) : La Commission Mixte Paritaire a maintenu le dispositif voté par le Sénat en 1ère lecture le 6 mars dernier, tout en imposant aux entreprises qui constatent la détérioration de leurs indicateurs sur 3 exercices consécutifs d’engager des négociations sur les mesures d’amélioration de l’emploi des seniors dans un délai de 6 mois. Ce dispositif de l’Index senior est donc prévu dans le projet de loi sur lequel le Gouvernement engage sa responsabilité.
**** Mise à Jour (14/04) : Dans sa décision n°2023-849 DC (voir Point 76. et suivants), le Conseil constitutionnel vient de déclarer contraire à la Constitution l’article 2 de la loi qui instituait dans les entreprises d’au moins 300 salariés la publication d’indicateurs relatifs à l’emploi des seniors . Ce dispositif sera donc retranché de cette loi.

 

 

Par Hugues Wedrychowski

 

 

Quelques données sur l’emploi des seniors

 

En 2021, 56 % des personnes de 55 à 64 ans sont en situation d’emploi, ce taux étant inférieur à celui de la moyenne de l’Union européenne, qui est de 60,5 %.

 

 

Source : Eurostat / Le Parisien (Février 2023)

 

En tenant compte de ceux qui sont en recherche d’emploi, 59,7% des seniors sont actifs.

 

En réalité, le taux d’emploi diminue nettement selon les tranches d’âge :

 

  • 81,8 % pour les 25-49 ans,
  • 75,1 % pour les 55-59 ans
  • 35,5 % pour les 60-64 ans

 

Source : DARES (Janvier 2023)

 

Plus précisément, de 50 à 56 ans, le taux reste proche de 80 %, puis diminue de 10 points jusqu’à 59 ans. Il passe ensuite en deçà de 60 % à 60 ans, pour atteindre moins de 20 % à partir de 64 ans.

 

Cette baisse est notamment la conséquence des transitions progressives vers la retraite :

  • Jusqu’à 55 ans, la part de personnes en retraite est marginale,
  • Alors qu’à 60 ans, 1 personne sur 6 environ est retraitée,
  • 2 sur 3 le sont à 63 ans.

 

Pour lire l’instructif rapport de la DARES « les seniors sur le marché du travail en 2021 » : cliquez ici

 

 

Le dispositif envisagé dans le projet de loi (au stade de la 1ère lecture à l’Assemblée nationale)

 

L’article 2 du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 est actuellement le suivant :

 


 

I. – Au chapitre Ier du titre II du livre Ier de la cinquième partie du code du travail, il est rétabli une section 4 comprenant trois articles ainsi rédigés :

 « Section 4

 « Indicateurs relatifs à l’emploi des salariés âgés

 

« Art. L. 5121‑6. – L’employeur prend en compte un objectif d’amélioration de l’embauche et du maintien en activité des salariés âgés.

 

« Art. L. 5121‑7. – Dans les entreprises d’au moins trois cents salariés, l’employeur publie chaque année des indicateurs relatifs à l’emploi des salariés âgés ainsi qu’aux actions mises en œuvre pour favoriser leur emploi au sein de l’entreprise

 « La liste des indicateurs et leur méthode de calcul sont fixées par décret.

 « Une convention ou un accord de branche étendue peut, dans des conditions définies par voie réglementaire, déterminer la liste des indicateurs mentionnés au premier alinéa et leur méthode de calcul, qui se substituent alors à celles fixées par le décret mentionné au précédent alinéa pour les entreprises de la branche concernée. 

 « Un décret fixe les conditions d’application du présent article, notamment les modalités de mise en œuvre du troisième alinéa, ainsi que la date et les modalités de publication des indicateurs et de leur transmission à l’autorité administrative. 

 

« Art. L. 5121‑8. – Les entreprises qui méconnaissent l’obligation de publication prévue à l’article L. 5121‑7 peuvent se voir appliquer par l’autorité administrative une pénalité dans la limite de 1 % des rémunérations et gains au sens du premier alinéa de l’article L. 242‑1 du code de la sécurité sociale et du premier alinéa de l’article L. 741‑10 du code rural et de la pêche maritime versés aux travailleurs salariés ou assimilés au cours de l’année civile précédant celle au titre de laquelle l’obligation est méconnue. 

« La pénalité est prononcée dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État. Son montant tient compte des efforts constatés dans l’entreprise en matière d’emploi des seniors ainsi que des motifs de méconnaissance de l’obligation de publication

 « Le produit de cette pénalité est affecté à la caisse mentionnée à l’article L. 222‑1 du code la sécurité sociale. » 

 

II – La sous‑section 4 de la section 3 du chapitre II du titre IV du livre II de la deuxième partie du code du travail est ainsi modifiée : 

1° A l’article L. 2242‑20, après le septième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : 

 « 7° L’emploi des salariés âgés, en s’appuyant sur les indicateurs publiés par l’entreprise en application de l’article L. 5121‑7, et l’amélioration de leurs conditions de travail. » ; 

2° A l’article L. 2242‑21, au 6°, les mots : « l’emploi des salariés âgés et » et les mots : « et l’amélioration des conditions de travail des salariés âgés » sont supprimés. 

 

III. – Le Gouvernement engage, dès la publication de la présente loi, une concertation avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’adoption du décret mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 5121‑7 du code du travail.

 

IV. – Les dispositions du I et du II du présent article entrent en vigueur à compter du 1erjuillet 2024

Par dérogation, elles s’appliquent à compter du 1er novembre 2023 pour les entreprises d’au moins 1 000 salariés.

 

 


 

 

Champ d’application

 

L’obligation de publier chaque année des indicateurs relatif à l’emploi des seniors s’appliquerait aux entreprises d’au moins 300 salariés.

 

À ce stade, ne sont pas visée les entreprises de taille inférieure appartenant à un groupe d’au moins 300 salariés.

 

De même, la date à laquelle la condition d’effectif s’appréciera n’est pas précisée.

 

MàJ (6 février) : De nombreux amendements proposent d’étendre cette obligation de publication aux entreprises de 50 salariés et plus (et de renforcer les sanctions). Les débats parlementaires seront sans doute très nourris sur ce sujet.

 

MàJ (14 février) : L’article 2 a été rejeté par l’Assemblé nationale en 1ère lecture :

 

 

 

MàJ (6 mars) : L’article 2 a été réintégré et adopté par le Sénat en 1ère lecture :

 

 

Après son rejet par l’Assemblée nationale, le gouvernement avait réintégré ce dispositif dans le texte présenté aux sénateurs, en élargissant son champ d’application aux entreprises d’au moins 50 salariés, au lieu d’au moins 300 salariés comme prévu dans le projet de loi initial.

 

Les sénateurs ont adopté l’article sur l’index seniors mais ont rétabli le seuil d’application d’origine de 300 salariés. En l’état du texte, malgré les critiques de l’opposition, l’index senior ne serait pas imposé à partir de 50 salariés.

 

Les entreprises qui seraient assujetties à l’Index senior seront tenues de publier chaque année des indicateurs relatifs à l’emploi des seniors, en distinguant leur sexe, ainsi qu’aux actions mises en œuvre pour favoriser leur emploi au sein de l’entreprise.

 

 

MàJ (16 mars) : La Commission Mixte Paritaire a complété le dispositif voté par le Sénat en ajoutant les dispositions suivantes :

 


 

 

« Art. L. 5121‐9 (nouveau). – Dans les entreprises qui, pour le troisième exercice consécutif de publication des indicateurs prévus à l’article L. 5121‐7, constatent la détérioration de ces indicateurs, l’employeur engage des négociations portant sur les mesures d’amélioration de l’emploi des seniors dans un délai de six mois. À défaut d’accord, l’employeur établit un plan d’action.

 

« Les entreprises pour lesquelles les indicateurs ont atteint une valeur maximale ou minimale démontrant que l’objectif d’amélioration de l’embauche et du maintien en activité des seniors est atteint ne sont pas soumises à l’obligation de couverture par un accord ou un plan d’action mentionnée au premier alinéa du présent article. »

 

 


 

 

Les caractéristiques du dispositif

 

Les indicateurs et leur méthode de calcul seront déterminés par décret, après concertation avec les partenaires sociaux.

 

Les indicateurs porteraient sur l’emploi des salariés âgés et les actions mises en œuvre pour favoriser leur emploi au sein de l’entreprise.

 

L’objectif poursuivi par le Gouvernement est « d’objectiver la place des seniors en entreprise, d’assurer la transparence en matière de gestion des âges et de valoriser les bonnes pratiques en la matière. »

 

Il est cependant envisagé une négociation au niveau de chaque branche, pour déterminer les indicateurs adaptés à leur secteur d’activité, qui se substitueraient aux paramètres définis par décret.

 

L’ensemble du dispositif serait chapeauté par une obligation d’ordre général, celle de prendre en compte « un objectif d’amélioration de l’embauche et du maintien en activité des salariés âgés ».

 

En l’état, contrairement à ce que prévoit l’index de l’égalité professionnelle, le projet de loi n’envisage pas de fixer un objectif chiffré légal d’emploi des seniors à atteindre, sous peine de pénalité.

 

Seule une sanction de l’absence de publication est envisagée.

 

En revanche, le projet de loi prévoit une obligation d’intégrer l’emploi des seniors à la négociation périodique sur la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP, ex-GPEC), spécifique aux entreprises et aux groupes d’au moins 300 salariés.

 

Le thème de l’emploi des salariés âgés et de l’amélioration de leurs conditions de travail ne ferait plus partie de la liste des sujets de négociation facultatifs (Article L.2242-21 du Code du travail) et intégrerait la liste des sujets obligatoires (Article L.2242-20) par la création d’un 7ème item.

 

Ainsi, les futurs indicateurs relatifs à l’emploi des seniors seraient à la base de cette négociation, laquelle s’appliquerait sous réserve d’un accord de méthode en décidant autrement, puisque les thèmes de la négociation peuvent être aménagés par accord collectif (Articles L.2242-10 et suivants).

Les dispositions du projet de loi seront donc des mesures supplétives applicables en l’absence d’accord de méthode.

 

 

Obligation de publication et sanction

 

Un certain nombre d’éléments resteraient à préciser par décret, notamment la date limite de publication des indicateurs, les modalités de cette publication et les conditions de transmission des indicateurs à l’autorité administrative.

 

Une 1ère publication est prévue le 1er novembre 2023 pour les entreprises d’au moins 1.000 salariés et pour le 1er juillet 2024 pour les entreprises d’au moins 300 salariés.

 

Il est envisagé à la fois une communication externe et une communication au sein de l’entreprise, les modalités de publication s’alignant sur celle de l’index de l’égalité professionnelle.

 

À défaut de publication des indicateurs à la date prévue, l’entreprise s’exposerait à une pénalité financière, assise la masse salariale annuelle, qui constituerait l’assiette de la pénalité.

 

Le taux de la pénalité serait fixé par l’autorité administrative, en fonction « des efforts constatés dans l’entreprise en matière d’emploi des seniors ainsi que des motifs de méconnaissance de l’obligation de publication ».

 

Ce taux ne pourrait pas excéder 1 %.

 

Nous ne manquerons pas de suivre les débats autour de cet article et vous tenir informés du dispositif qui sera mis en place.

 

 

 

 

Pour lire le projet de loi (initial) de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 : cliquez ici

 

Pour accéder au dossier législatif et suivre les débats parlementaires :

 

Pour voir en vidéo la présentation du projet du Gouvernement « pour l’avenir de notre système de retraites » : cliquez ici

 

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