Conclure une rupture conventionnelle dans un contexte conflictuel présente toujours un certain danger pour l’employeur.
Le consentement du salarié à cette rupture d’un commun accord ne doit pas être vicié, notamment par l’effet d’une pression ou d’une contrainte, sauf à encourir la possibilité d’une remise en cause.
Statuant sur la validité du consentement du salarié, la Cour de cassation vient de rendre un arrêt le 15 novembre 2023 (N°22-16.957) qui valide l’alternative présentée par l’employeur entre un licenciement pour faute grave et une rupture conventionnelle à un salarié dont le comportement pouvait faire l’objet d’une mesure de licenciement pour faute grave, voire faute lourde.
Une telle alternative parait intéressante à utiliser mais doit être maniée avec précaution, la Cour de cassation rappelant que la rupture conventionnelle ne doit pas être imposée par l’employeur.
Par Philippe Suard
Le point sensible d’une rupture conventionnelle (RC) réside dans le consentement du salarié (plus rarement celui de l’employeur, bien qu’il puisse être vicié parfois).
L’existence d’un vice du consentement est de nature à justifier l’annulation de la RC, la charge de la preuve reposant sur celui qui l’invoque (Cass. Soc. 11 mai 2022, n°20-15.909)
Une RC ne peut donc pas être imposée à l’autre partie : si la preuve de pressions pour obtenir l’accord de l’une des parties est rapportée, l’annulation de la RC est encourue (Cass. Soc. 8 juillet 2020, n°19-15441).
A ce titre, le salarié peut exercer un recours pour contester la RC dans un délai de 12 mois à compter de la date d’homologation de la convention (si l’homologation est tacite, le délai commence à courir à l’expiration du délai de 15 jours ouvrables : Cass. Soc. 6 décembre 2017, n°16-10.220).
Depuis plusieurs années, la Cour de cassation admet la possibilité de conclure une rupture conventionnelle même dans un cadre conflictuel et même s’il existe un différend entre l’employeur et son salarié, à la condition que la RC soit exempte de tout vice du consentement,
L’arrêt du 15 novembre 2023 (n°22-16.957) donne l’occasion à la Chambre sociale de rappeler les principes qui régissent l’annulation éventuelle d’une RC pour vice du consentement.
Les faits
L’employeur reproche au salarié, ouvrier du bâtiment, d’avoir travaillé à plusieurs reprises sans son harnais de sécurité et sans casque.
L’incident étant répétitif, l’employeur envisage un licenciement pour faute lourde.
Tenant compte de l’ancienneté du salarié (7 ans), l’employeur présente une alternative au salarié : choisir entre un « licenciement pour faute grave, voire faute lourde » ou une rupture conventionnelle (RC).
Le salarié choisit la RC.
La convention est signée le 22 décembre 2017, le salarié ne se rétracte pas et la relation de travail prend fin le 31 janvier 2018.
Postérieurement à la rupture, le salarié invoque une pression exercée par l’employeur qui l’avait menacé d’un licenciement pour faute grave, voire lourde, de sorte que son consentement à la RC n’avait pas été librement donné.
Le salarié soutenait avoir ainsi accepté la RC sans autre alternative que de faire sinon l’objet d’un licenciement pour faute lourde.
Les juridictions du fond saisies rejettent sa demande d’annulation.
Au dernier état, la Cour d’Appel de Toulouse juge que le salarié n’établit pas s’être trouvé sous la menace d’un licenciement lors de la signature de la RC et échoue à rapporter la preuve que le différend l’opposant à son employeur sur le port des équipements de sécurité avait impacté la validité de son consentement et que la RC lui avait été imposée.
La position de la Cour de cassation
La Cour de cassation valide l’analyse de la Cour d’appel et rejette le pourvoi du salarié.
Dans sa décision, la Chambre sociale considère que de donner le choix à un salarié qui a commis des faits fautifs entre un licenciement pour faute grave et une RC ne constitue pas, en soi, une forme de pression.
La Cour de cassation rappelle d’abord le principe, dégagé de longue date (Cass. Soc. 30 septembre 2013, n°12-19.711), selon lequel « l’existence, au moment de la conclusion de la convention de rupture, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture ».
Puis examinant la motivation des Juges d’appel, la Cour de cassation relève que le salarié n’a pas usé de son droit de rétractation et n’établit pas que la RC lui a été imposée par l’employeur.
La preuve d’un vice du consentement n’est donc pas rapportée par le salarié.
Au moment de signer la RC, le salarié sait qu’il encourt un licenciement pour faute grave s’il n’opte pas pour la RC.
Pour autant, il fait son choix « librement » et ne se rétracte pas ensuite dans le délai de 15 jours calendaires.
L’examen des faits de l’espèce montre que l’employeur n’a pas exercé de pression particulière lors du choix présenté au salarié (notamment, la procédure de licenciement n’avait pas été engagée préalablement).
La Cour de cassation considère donc que le consentement du salarié n’a pas été vicié.
- Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande d’annulation de la rupture conventionnelle conclue le 22 décembre 2017 avec l’employeur, alors :
« 1°/ que l’aveu judiciaire fait foi contre son auteur ; qu’en l’espèce, la SARL AGTP avait expressément, dans ses conclusions d’appel, énoncé que : « Au mois de novembre 2017, M. [N] a travaillé à plusieurs reprises sans le harnais de sécurité et sans casque […]. Cet incident étant répétitif, la société AGTP a envisagé un licenciement pour faute lourde à l’encontre du salarié. Toutefois, au regard de la relation contractuelle datant [de] 2010, M. [N] a eu le choix entre un licenciement pour faute lourde et une rupture conventionnelle […] » ; que, pour débouter M. [N] de sa demande d’annulation de la rupture conventionnelle acceptée, selon le salarié, en raison de « la pression exercée sur lui par son employeur qui l’avait menacé d’un licenciement pour faute grave, voire lourde » , la cour d’appel a énoncé que : « M. [N] n’établit, par aucune pièce ou attestation, s’être trouvé sous la menace d’un licenciement lors de la signature de la convention de rupture conventionnelle… [et] échoue à rapporter la preuve que le différend l’opposant à son employeur au sujet du port des équipements de sécurité impacte la validité de son consentement et que la rupture conventionnelle a été imposée par la société AGTP » ; qu’en statuant de la sorte quand la SARL AGTP avait très expressément reconnu devant elle qu’elle n’avait laissé au salarié d’autre choix que d’accepter la rupture conventionnelle ou de faire l’objet d’un licenciement pour faute lourde en raison de son refus de porter ses équipements de sécurité, la cour d’appel a violé l’article 1383-2 du code civil ;
2°/ qu’est nulle pour violence la rupture conventionnelle acceptée par le salarié sous la menace d’un licenciement pour faute lourde ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a débouté M. [N] de sa demande d’annulation de la rupture conventionnelle acceptée, selon le salarié, en raison de « la pression exercée sur lui par son employeur qui l’avait menacé d’un licenciement pour faute grave, voire lourde » motif pris qu’il « … n’établit, par aucune pièce ou attestation, s’être trouvé sous la menace d’un licenciement lors de la signature de la convention de rupture conventionnelle » ; qu’en statuant de la sorte quand la SARL AGTP avait expressément reconnu devant elle que « M. [N] avait eu le choix entre un licenciement pour faute lourde et une rupture conventionnelle », de sorte que le consentement du salarié, ainsi donné sans autre alternative qu’un licenciement pour faute lourde, n’avait pas été librement donné, la cour d’appel a violé les articles 1130 et 1140 du code civil, ensemble l’article L. 1237-11 du code du travail. »
Réponse de la Cour
- Après avoir exactement rappelé que l’existence, au moment de la conclusion de la convention de rupture, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture, la cour d’appel a constaté, par motifs propres et adoptés, que le salarié n’avait pas usé de son droit de rétractation et n’établissait pas que la rupture conventionnelle avait été imposée par l’employeur.
- La cour d’appel a ainsi estimé que le salarié ne rapportait pas la preuve d’un vice du consentement.
Dès lors, l’employeur pouvait donner le « choix » à un salarié qui avait commis des faits graves entre un licenciement et une RC, cette alternative en tant que telle n’étant pas assimilée à une pression ou une forme de chantage au licenciement.
La solution dégagée par la Cour de cassation diffère de celle d’un arrêt plus ancien (Cass. Soc. 16 septembre 2015, n°14-13.830) dans lequel le vice du consentement du salarié avait été relevé pour annuler la RC signé postérieurement à l’engagement d’une procédure de licenciement (avec mise à pied conservatoire et faisant suite à plusieurs mises en demeure de reprendre son poste).
Dans cette affaire, l’alternative licenciement ou RC était en réalité « faussée » puisque l’employeur :
- Avait d’abord proposé une rupture conventionnelle et fixé un entretien pour finaliser cette rupture.
- Aucune convention n’ayant été signée, l’employeur avait concomitamment adressé des avertissements au salarié et une convocation à un entretien préalable à son licenciement pour faute grave.
- Au jour de l’entretien préalable, les parties ont finalement signé une convention de RC.
Présentation du dispositif de la Rupture conventionnelle
Le dispositif de la Rupture conventionnelle, créé en 2008, est désormais un mode de rupture du contrat de travail couramment utilisé dans le secteur privé (502.000 en 2022, contre 284.000 en 2012 – Source INSEE).
Son succès est tel que le Gouvernement envisage de réformer ce dispositif en 2024 pour le rendre moins attractif.
La rupture conventionnelle (ci-après RC) est le seul mode de rupture du contrat de travail à l’amiable entre le salarié et l’employeur (Article L.1237-11).
Ce dispositif, applicable uniquement aux CDI, permet à l’employeur et au salarié de convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie (date de rupture et montant de l’indemnité spécifique de rupture – a minima équivalente à l’indemnité légale de licenciement).
La rupture conventionnelle est exclusive du licenciement ou de la démission et ne peut pas être imposée par l’une ou l’autre des parties.
Cette rupture résulte d’une convention signée par les parties au contrat, établie sur un CERFA, et soumise ensuite à l’homologation de la DREETS compétente, via un portail dédié : TéléRC
A compter de la signature du CERFA, les parties disposent d’un délai de rétractation de 15 jours calendaires (Article L.1237-13).
A compter de l’envoi pour homologation, l’Administration dispose d’un délai de 15 jours ouvrables pour statuer : à défaut de notification dans ce délai, l’homologation de la RC est réputée acquise (Article L.1237-14).
Pour lire l’arrêt sur le site de la Cour de cassation : cliquez ici