Dans une décision rendue le 14 novembre 2024 (N°21-22540), la Cour de cassation s’est penchée sur les conséquences d’un reçu pour solde de tout compte non signé, dans un litige opposant un salarié à son ancien employeur.
Licencié en 2013, le salarié, incarcéré à l’époque, n’avait pas signé le document et avait engagé une action en justice en 2017, soutenant que l’absence de signature empêchait le délai de prescription de débuter.
Dans cette décision, la Chambre sociale rappelle que l’absence de signature d’un solde de tout compte ne confère aucune valeur libératoire pour l’employeur, ni de force probante concernant le paiement des sommes mentionnées.
Cependant, cette absence de signature n’interrompt pas le délai de prescription, sauf en cas de force majeure ou d’un empêchement légal d’agir.
Les faits
Un salarié, licencié pour motif disciplinaire par une lettre datée du 11 avril 2013, avait été dispensé d’exécuter son préavis de deux mois.
Le contrat de travail avait ainsi pris fin le 13 juin 2013, date à laquelle l’employeur avait établi le solde de tout compte et les documents de fin de contrat.
Le 7 décembre 2017, le salarié avait saisi la juridiction prud’homale, réclamant notamment le versement de diverses sommes mentionnées dans le solde de tout compte.
Il n’avait toutefois jamais signé ce document, invoquant son incarcération survenue entre le 25 juin 2013 et le 22 juin 2017.
En conséquence, il estimait que le reçu pour solde de tout compte n’avait aucun effet libératoire et que le délai de prescription n’avait pas commencé à courir.
Il convient de rappeler qu’à l’époque des faits la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 avait réduit de cinq ans à deux ans le délai de prescription pour les actions relatives à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail (Aujourd’hui, depuis 2017, l’action en contestation sur l’exécution du contrat se prescrit par 2 ans, l’action en contestation de la rupture du contrat se prescrit par 12 mois – Article L.1471-1 du Code du travail).
La Cour d’appel avait déclaré recevable l’action du salarié aux fins de remise des documents de fin de contrat, en paiement des sommes mentionnées sur le solde de tout compte et de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
La Cour avait retenu que le salarié n’avait jamais signé son reçu pour solde de tout compte en raison de son incarcération du 25 juin 2013 au 22 juin 2017.
La juridiction d’appel a considéré que cette absence de signature n’avait produit aucun effet libératoire et qu’aucune prescription n’avait commencé à courir.
La position de la Cour de cassation
La Cour censure cette décision rappelant que si un solde de tout compte non signé n’a aucune valeur libératoire pour l’employeur ni de force probante concernant le paiement des sommes mentionnées, cette absence de signature n’interrompt pas le délai de prescription, sauf en cas de force majeure ou d’un empêchement légal d’agir.
La Chambre sociale rappelle d’abord les règles applicables au reçu pour solde de tout compte (L.1234-20) et celles relatives à la prescription (L.1471-1) pour ensuite tirer les conséquences de l’absence de signature du reçu :
- Selon le premier de ces textes, le solde de tout compte fait l’inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail. Le reçu pour solde de tout compte peut être dénoncé dans les six mois qui suivent sa signature par le salarié, délai au-delà duquel il devient libératoire pour l’employeur pour les sommes qui y sont mentionnées.
- Aux termes du deuxième, toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
- En vertu du troisième, les dispositions précédentes s’appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
- Il en résulte que le solde de tout compte non signé par le salarié, qui n’a pas valeur de preuve du paiement des sommes qui y sont mentionnées, n’a aucun effet sur le délai de prescription qui ne court pas ou n’est suspendu qu’en cas d’impossibilité d’agir à la suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.
Sur cette base, la Cour de cassation infirme la décision de la Cour d’appel qui avait considéré que l’absence de signature du reçu n’avait produit aucun effet libératoire et qu’aucune prescription n’a commencé à courir en raisonde l’incarcération du salarié jusqu’en juin 2017 pour déclarer recevable l’action engagée en décembre 2017.
- Pour déclarer recevable l’action du salarié aux fins de remise des documents de fin de contrat, en paiement des sommes mentionnées sur le solde de tout compte et de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, l’arrêt retient que le solde de tout compte que le salarié n’a jamais signé en raison de son incarcération du 25 juin 2013 au 22 juin 2017, n’a produit aucun effet libératoire et qu’aucune prescription n’a commencé à courir.
- En statuant ainsi, alors qu’elle constatait que la prescription de l’article L. 1471-1 du code du travail s’était appliquée à compter de l’entrée en vigueur de la loi n° 2013-504 du 13 juin 2016 et que le salarié avait jusqu’au 16 juin 2015 pour engager toute action portant sur l’exécution et la rupture du contrat de travail, sans caractériser une cause d’interruption ou de suspension du délai de prescription, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
La Cour de cassation considère que le délai de prescription de deux ans, applicable à l’époque des faits, avait commencé à courir en 2013 et expiré en 2015 et que l’incarcération du salarié ne constitue pas une cause valable d’interruption ou de suspension de la prescription.
L’arrêt de la Cour d’appel est donc infirmé.
Cette décision clarifie le débat existant sur l’absence de signature du solde de tout compte : ce défaut de signature n’a pas d’incidence sur la prescription des actions en justice liées à la rupture du contrat de travail, sauf circonstances exceptionnelles.
Rappel des règles applicables au Solde de tout compte
- Définition et contenu du reçu pour solde de tout compte :
Le reçu pour solde de tout compte est un document établi par l’employeur lors de la rupture du contrat de travail. Il fait l’inventaire des sommes versées au salarié à cette occasion, telles que :
- Salaire restant dû,
- Indemnités de congés payés, RTT
- Indemnités de licenciement ou de rupture conventionnelle,
- Autres sommes dues au salarié.
- Obligation de l’employeur :
L’employeur doit établir ce document en double exemplaire, dont l’un est remis au salarié (articles L.1234-20 et D.1234-7 du Code du travail).
Il s’agit d’une formalité obligatoire en cas de rupture de contrat, quel qu’en soit le motif.
- Caractère facultatif de la signature :
La signature est non obligatoire : le salarié n’est pas tenu de signer le reçu pour solde de tout compte.
Si le salarié refuse de signer ou signe avec réserves, le document n’a pas de valeur libératoire pour les sommes qui y sont mentionnées (Cass. Soc. 26 février 1985, N°82-42807).
- Effet libératoire et possibilité de contestation :
Si le salarié signe le reçu sans réserve, il peut contester encore son contenu dans un délai de 6 mois suivant la signature.
Le délai de 6 mois court à compter de la signature du reçu, à condition qu’il comporte la date de sa signature (peu important que cette date ne soit pas écrite de la main du salarié, dès l’instant qu’elle est certaine – Cass. Soc. 20 février 2019, N°17-27.600).
Passé ce délai de 6 mois, le document signé et daté devient libératoire pour l’employeur en ce qui concerne les sommes mentionnées.
En revanche, si le salarié n’a jamais signé ou a signé avec des réserves, le reçu ne devient jamais libératoire.
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