En matière d’élections professionnelles, le recours au vote électronique est de plus en plus courant et sera appelé à se généraliser, le « présentiel » tendant à devenir, hélas, une notion qui se raréfie.
La Cour de cassation, saisie de plusieurs questions sur la négociation d’un accord relatif au vote électronique et ses conséquences, vient de rendre le 13 janvier 2021 (N°19-23.533) un arrêt remarqué.
Nous vous proposons d’examiner les réponses apportées par la Cour de cassation sur ce sujet.

 

 

Par Sylvain Mercadiel

 

 

1./  La contestation de la décision de recours au vote électronique relève-t-elle de la procédure applicable au contentieux des accords collectifs ou à celle applicable au contentieux du processus électoral ?

 

La Chambre sociale décide que le recours au vote électronique constituant une modalité d’organisation des élections, il relève en conséquence du contentieux de la régularité des opérations électorales et donc de la compétence du Tribunal Judiciaire statuant en dernier ressort.

 

Le raisonnement adopté par la Cour de cassation est le suivant :

 


 

  1. Il résulte du premier alinéa de l’article L. 2314-32 du code du travail que les contestations relatives à l’électorat, à la composition des listes de candidats en application de l’article L. 2314-30, à la régularité des opérations électorales et à la désignation des représentants syndicaux sont de la compétence du juge judiciaire, et de l’article R. 2314-32 que les contestations prévues à l’article L. 2314-32 sont jugées en dernier ressort.

 

  1. Le recours au vote électronique, qu’il soit prévu par accord collectif ou par décision unilatérale de l’employeur, constitue une modalité d’organisation des élections, et relève en conséquence du contentieux de la régularité des opérations électorales.

 

  1. Il en résulte que ce contentieux relève du tribunal judiciaire statuant en dernier ressort et que le pourvoi est recevable.

 


 

 

L’article L.2314-26 du Code du travail prévoit en effet la possibilité de décider de recourir au vote électronique « si un accord d’entreprise ou, à défaut, l’employeur le décide ».

 

Dans l’hypothèse d’un accord, ce dernier est exclusivement en lien avec l’organisation des élections professionnelles.

 

Or, comme l’énonce la notice explicative de la Cour de cassation, depuis plusieurs années, le législateur et la jurisprudence s’efforcent de créer un « bloc de compétence » en ce domaine, d’abord au profit du Tribunal d’Instance, puis du Tribunal Judiciaire statuant en dernier ressort, pour que tout le contentieux afférent au processus préélectoral et électoral soit soumis à un même juge.

 

Dès lors, le contentieux portant sur l’accord collectif – ou à défaut la décision unilatérale de l’employeur – décidant du recours au vote électronique, relève bien du Tribunal Judiciaire statuant en dernier ressort.

 

La Cour de cassation avait pourtant déjà jugé que l’accord collectif décidant du principe du recours au vote électronique était un « accord de droit commun », distinct du protocole préélectoral qui peut ensuite le mettre en œuvre au moment des élections, et donc soumis aux conditions de validité de droit commun (28 septembre 2011, N°10-27.370).

 

Dès lors, il était possible de soutenir que la contestation de l’accord collectif visé par l’article L.2314-26 précité, ou à défaut la décision unilatérale de l’employeur, pouvait être soumise aux conditions de contestation de l’accord collectif de droit commun, c’est-à-dire au tribunal judiciaire statuant en premier ressort.

 

La Cour de cassation répond par la négative et poursuit la construction de ce « bloc de compétence » du Tribunal Judiciaire (i.e. le Tribunal de Proximité par délégation) statuant en dernier ressort.

 

Conséquence pratique : la contestation de l’accord ou de la décision unilatérale de l’employeur portant sur le recours au vote électronique doit être portée devant le Tribunal Judiciaire dans un délai de 15 jours après l’élection (Article R.2314-24).

 

 

2./  Que signifie la formule « à défaut d’accord » permettant à l’employeur de décider unilatéralement du recours au vote électronique ?

 

L’expression contenue à l’article L.2314-26 du Code du travail sur la possibilité de recourir au vote électronique « si un accord d’entreprise ou, à défaut, l’employeur le décide » doit-elle s’analyser :

 

  • Comme une « alternative simple »

Ou

  • Comme une « subsidiarité » ?

 

La Chambre sociale opte pour la « subsidiarité » dans les termes suivants :

 


 

  1. Il résulte des articles L. 2314-26 et R. 2314-5 du code du travail que la possibilité de recourir au vote électronique pour les élections professionnelles peut être ouverte par un accord d’entreprise ou par un accord de groupe, et, à défaut d’accord, par une décision unilatérale de l’employeur.

 

  1. Il ressort de ces dispositions que ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur peut prévoir par décision unilatérale la possibilité et les modalités d’un vote électronique.

 


 

La Chambre sociale rappelle ainsi que la prévalence accordée par le législateur à la négociation collective pour la détermination du processus électoral conduit à privilégier l’accord collectif à la décision unilatérale lorsque la loi autorise la décision unilatérale à défaut ou en l’absence d’accord.

 

La Cour de cassation avait déjà décidé que les termes « à défaut » recélaient intrinsèquement une subsidiarité.

 

C’est le cas de la disposition relative à l’établissement de la représentativité syndicale, le texte de l’article L. 2122-5 du code du travail se référant au premier tour des dernières élections « des titulaires au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel, ou, à défaut, des délégués du personnel ». (13 juillet 2010, N°10-60.148).

 

S’agissant de la faculté donnée à l’employeur de déterminer seul le périmètre des établissements distincts en l’absence d’accord, la Chambre sociale avait déjà utilisé la formulation utilisée dans son arrêt du 13 janvier 2021 en décidant « que ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur peut fixer par décision unilatérale le nombre et le périmètre des établissements distincts ». (17 avril 2019, N°18-22.948).

 

La Chambre sociale rappelle ainsi que la prévalence accordée par le législateur à la négociation collective pour la détermination du processus électoral conduit à privilégier l’accord collectif à la décision unilatérale lorsque la loi autorise la décision unilatérale à défaut ou en l’absence d’accord.

 

L’employeur n’est pas totalement libre de choisir entre la négociation et la voie unilatérale : il doit, avant de décider de recourir unilatéralement au vote électronique, donner sa chance à la négociation d’un accord et être en mesure d’établir l’engagement de négociations loyales.

 

 

3./  La prévalence de la négociation collective sur la décision unilatérale de l’employeur oblige-t-elle, en l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise, à tenter de recourir à la négociation dérogatoire ?

 

Lorsqu’il n’y a pas, ou plus, dans l’entreprise, de Délégué syndical, l’employeur est -il tenu, avant de recourir à la décision unilatérale, de tenter de négocier selon les modalités dérogatoires prévues par les articles L.2232-24 et suivants du Code du travail, c’est-à-dire, s’agissant des entreprises d’au moins 50 salariés :

 

  • soit avec des salariés mandatés,
  • soit avec les élus ?

 

La Chambre sociale répond à cette question par la négative :

 


 

  1. Dès lors que le législateur a expressément prévu qu’à défaut d’accord collectif, le recours au vote électronique pouvait résulter d’une décision unilatérale de l’employeur, cette décision unilatérale peut, en l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise ou dans le groupe, être prise par l’employeur sans qu’il soit tenu de tenter préalablement une négociation selon les modalités dérogatoires prévues aux articles L. 2232-23 à L. 2232-26 du code du travail.

 

  1. En l’espèce, le tribunal d’instance, qui a constaté qu’il n’y avait plus dans l’entreprise de délégué syndical depuis le mois de février 2018, en a exactement déduit, par ces seuls motifs, que la décision unilatérale prise par l’employeur le 22 août 2018 sur le recours au vote électronique était valide.

 


 

 

Dans notice explicative, la Cour de cassation rappelle que :

 

  • Les dispositions sur la négociation dérogatoire sont des dispositions subsidiaires, en cas d’absence de délégué syndical, afin de permettre à l’employeur, notamment dans le cadre de la négociation obligatoire, de parvenir malgré tout à élaborer un accord.

 

  • Dans le cas du vote électronique, la loi prévoit justement un autre type de « disposition subsidiaire », en autorisant la décision unilatérale de l’employeur.

 

  • L’objectif du législateur, au fur et à mesure des réformes successives, a été de favoriser la possibilité du recours au vote électronique.

 

  • Cet objectif ne serait pas rempli si, pour mettre en place un tel vote, l’employeur devait, dans le temps contraint de la préparation des élections professionnelles, franchir toutes les étapes que suppose le recours à la négociation dérogatoire, notamment par des informations préalables nécessitant des délais particuliers et le recours à la consultation des salariés eux-mêmes.

 

Dès lors, l’absence de délégué syndical dans l’entreprise est une des situations dans lesquelles, à défaut d’accord collectif possible, l’employeur peut décider du recours au vote électronique par décision unilatérale.

 

Pour lire l’arrêt publié sur le site de la Cour de cassation et sa notice explicative : cliquez ici