Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté le 6 septembre 2023 une recommandation auprès de la France concernant le barème d’indemnisation du licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse instauré en 2017.
Prenant en compte les décisions du Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS) rendues en 2022 (lire notre article) et la réponse fournie par le Gouvernement français s’appuyant sur les arrêts rendus par la Cour de cassation le 11 mai 2022 (lire notre article), le Comité des Ministres demande néanmoins à la France de poursuivre ses efforts pour garantir que le montant de l’indemnisation soit dissuasif, de réexaminer et modifier le barème utilisé pour tenir compte du préjudice réel subi par les victimes et de rendre compte des décisions prises pour se conformer à cette recommandation dans un rapport à fournir dans 2 ans.
Cette recommandation, si elle n’a aucun caractère contraignant, s’ajoute aux récurrents coups de boutoir européens contre le « barème Macron ».
Par Caroline Colet
Le barème d’indemnisation du licenciement injustifié instauré en France en 2017
Depuis l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, un barème a été instauré pour indemniser un licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse.
Ce barème légal énoncé à l’article L.1235-3 du Code du travail fixe des montants minimaux et maximaux d’indemnisation en fonction de l’ancienneté du salarié et, pour certains montants planchers, de l’effectif de l’entreprise (moins de 11 salariés).
Les montants maximaux varient, selon l’ancienneté du salarié, entre 1 mois (pour moins d’1 an) et 20 mois de salaire brut (pour 30 ans d’ancienneté et plus).
La controverse judiciaire en France de 2018 à 2022
Le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution ce barème d’indemnisation par une décision du 21 mars 2018.
La Cour de cassation a également validé ce barème en rendant deux avis de conformité en formation plénière le 17 juillet 2019 (Avis n°15012 et Avis n°15013).
En parallèle, plusieurs juridictions prud’homales ont décidé d’écarter ce barème, le jugeant contraire à l’article 10 de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et à l’article 24 de la Charte sociale européenne qui fixent le principe d’une réparation adéquate.
Les Cours d’appel saisies ont adopté des positions divergentes entre 2019 et 2021.
Illustrations :
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- Arrêt de la Cour d’Appel de Reims écartant le barème dans le cadre d’un contrôle de conventionnalité in concreto
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- Arrêt de la Cour d’Appel de Paris validant le barème).
La Cour de cassation a mis fin à cette guérilla judiciaire qui durait depuis 4 ans par deux arrêts du 11 mai 2022 en :
- Rejetant le contrôle de conventionnalité in concreto,
- Confirmant l’absence d’effet direct de l’article 24 de la Charte sociale européenne,
- Décidant que le juge prud’homal ne pouvait donc s’écarter du barème prévu par l’article L.1235-3 du Code du travail pour indemniser un licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse
Le désaveu du Comité Européen des Droits Sociaux énoncé en 2022
Saisi par plusieurs organisations syndicales, le CEDS a jugé, dans une décision du 23 mars 2022, que le barème Macron est contraire à l’article 24 b. de la Charte sociale européenne estimant, notamment, que les plafonds qu’il prévoit sont insuffisants et non dissuasifs pour l’employeur.
Par une autre décision du 5 juillet 2022, le CEDS a confirmé sa position adoptée dans sa précédente décision, jugeant que le barème viole l’article 24 b. de la Charte sociale et répondant à la Cour de cassation concernant la solution issue de ses arrêts du 11 mai 2022.
Les décisions du CEDS n’ont pas d’effet contraignant mais les recommandations qu’elles contiennent sont transmises au gouvernement du pays concerné.
Le Comité des Ministres maintient en 2023 sa critique du barème d’indemnisation français
Dans sa recommandation adoptée le 6 septembre 2023 (CM/RecChS(2023)3), le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe recommande à la France de poursuivre ses efforts pour garantir que le montant d’indemnité pour licenciement abusif soit dissuasif pour l’employeur et de réexaminer et modifier, le cas échéant, sa législation afin de garantir que les indemnités accordées tiennent compte du préjudice réel subi.
S’appuyant sur les rapports du CEDS et « ayant noté que, dans ses décisions sur le bien-fondé, le CEDS a jugé la situation de la France en violation de l’article 24.b de la Charte sociale européenne révisée », le Comité des Ministres recommande à la France :
- De poursuivre ses efforts visant à garantir que le montant des dommages et intérêts pécuniaires et non pécuniaires accordés aux victimes de licenciement injustifié sans motif valable soit dissuasif pour l’employeur, afin d’assurer la protection des travailleurs contre ces licenciements injustifiés ;
- De réexaminer et modifier, le cas échéant, la législation et les pratiques pertinentes afin de garantir que les indemnités accordées dans les cas de licenciement abusif, et tout barème utilisé pour les calculer, tiennent compte du préjudice réel subi par les victimes et des circonstances individuelles de leur situation ;
- De rendre compte des décisions et mesures prises pour se conformer à la présente recommandation dans le rapport sur le suivi des décisions relatives aux réclamations collectives, à fournir dans 2 ans.
Dans cette recommandation, le Comité des Ministres relève notamment les points suivants :
Le CEDS a noté que, dans la législation française, le plafond maximal ne dépasse pas 20 mois et ne s’applique qu’à partir de 29 ans d’ancienneté. Le barème est moins élevé pour les salariés ayant peu d’ancienneté et pour ceux qui travaillent dans des entreprises de moins de 11 salariés. Pour ces derniers, les montants minimums et maximums d’indemnisation auxquels ils peuvent prétendre sont faibles et parfois quasi identiques, de sorte que la fourchette d’indemnisation n’est pas assez large. Le CEDS a considéré que la « prévisibilité » résultant du barème pourrait plutôt constituer une incitation pour l’employeur à licencier abusivement des salariés. En effet, les plafonds d’indemnisation ainsi définis pourraient amener les employeurs à faire une estimation réaliste de la charge financière que représenterait pour eux un licenciement injustifié sur la base d’une analyse coûts-avantages. Dans certaines situations, cela pourrait encourager les licenciements illégaux.
Le CEDS a noté en outre que le plafond du barème d’indemnisation ne permet pas de prévoir une indemnité plus élevée en fonction de la situation personnelle et individuelle du salarié, le juge ne pouvant ordonner une indemnisation pour licenciement injustifié que dans les limites inférieure et supérieure du barème. Pour autant, le CEDS a également noté que le barème n’est pas applicable dans un certain nombre d’hypothèses qui correspondent aux situations les plus graves dans lesquelles la sanction est la nullité du licenciement : présence de violations de libertés fondamentales, de situations de harcèlement ou de discrimination, de méconnaissance des protections dues à certaines catégories de salariés, exceptions pour lesquelles la nullité du licenciement est encourue et maintenue, avec un droit à réintégration du salarié et une indemnisation non plafonnée.
Il convient de souligner que cette recommandation n’a pas de valeur contraignante.
Elle n’oblige donc pas, en l’état, la France à modifier sa législation.
Les recommandations du Comité des Ministres sont sans effet contraignant, mais constituent des lignes directrices fixées d’un commun accord par les États membres en vue de poursuivre les objectifs du Conseil de l’Europe.
Le Conseil de l’Europe et ses différentes entités (Conseil des Ministres, CEDS…)
Pour rappel, le Conseil de l’Europe, dont la France est membre, est une organisation intergouvernementale dont la mission est de promouvoir la démocratie et de protéger les droits de l’Homme et l’État de droit dans toute l’Europe et au-delà.
Cette organisation est structurée en plusieurs entités, comprenant notamment :
- le Comité des Ministres, principal organe décisionnaire : il représente les États membres),
- la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui statue sur les requêtes individuelles contre les États membres,
- Des organes de suivi tels que le Comité européen des droits sociaux (CEDS), qui examine le respect de la Charte sociale européenne.
Le Comité des Ministres est l’instance statutaire de décision du Conseil de l’Europe. Il se compose des ministres des Affaires étrangères des États membres.
Le Comité se réunit une fois par an au niveau ministériel et une fois par semaine au niveau des Délégués (Représentants permanents auprès du Conseil de l’Europe).
La présidence du Comité des Ministres est assurée pour une durée de six mois à tour de rôle par les représentants des États membres dans l’ordre alphabétique anglais.
Pour consulter la recommandation du 6 septembre 2023 du Comité des Ministres en format .pdf : cliquer ici
Pour consulter les travaux du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe : cliquer ici