Dans un arrêt du 21 septembre 2022 (N°20-16.841), la Cour de cassation décide que la licéité du mode de preuve retenu par le Juge pénal ne peut pas être contestée ensuite devant le Juge prud’homal.
Qualifiant l’autorité de la chose jugée au pénal « d’absolue », cette décision revient à faire admettre dans un litige prud’homal des preuves qui auraient dû être écartées, l’employeur ne pouvant pas, en principe, se prévaloir d’informations qu’il a collectées de façon illicite.
Cette solution permet donc, sur la base d’une décision pénale définitive, une forme d’unification et de libéralisation du mode de preuve devant le Juge civil.

 

 

 

 

 

 

 

 

Par Philippe Suard

 

 

Les faits et la procédure

 

Une altercation oppose un salarié à un chauffeur, salarié d’une autre entreprise.

 

Licencié pour faute grave, la notification s’appuie exclusivement sur la vidéo prise par le chauffeur avec son téléphone, à l’insu du salarié licencié.

 

Le Tribunal de police a déclaré les deux protagonistes coupables de violences volontaires.

 

Devant la juridiction prud’homale, le salarié contestant son licenciement soutient l’illicéité du mode de preuve, pourtant jugé probant par le juge pénal.

 

La Cour d’appel a jugé que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, relevant notamment que le Tribunal de Police avait porté sur le film litigieux une appréciation qui liait le juge prud’homal et qu’il n’y avait donc pas lieu d’écarter ce moyen de preuve.

 

Le salarié a soutenu devant la Cour de cassation :

 

  • Que l’enregistrement vidéo de l’altercation réalisée à son insu constitue un procédé déloyal et illicite qui le rend irrecevable devant le Juge civil ;

 

  • Qu’il incombe au Juge civil de se prononcer sur la loyauté et la licéité de la preuve qui lui est soumise ;

 

  • Que le Juge civil n’est pas tenu par l’appréciation précédemment portée par le Juge pénal devant lequel l’enregistrement obtenu à l’insu d’une personne est recevable.

 

 

La position de la Cour de cassation

 

La Chambre sociale rejette l’argumentation du salarié.

 

S’appuyant sur l’autorité de la chose jugée au pénal, qu’elle qualifie « d’absolue », la Cour de cassation considère que cette autorité s’étend à ce qui a été nécessairement jugé quant à :

 

  • L’existence du fait incriminé,
  • Sa qualification
  • La culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé
  • Aux motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif de la décision

 

Le salarié ayant été condamné définitivement par le Tribunal de Police, cette autorité absolue s’opposait à ce que le salarié conteste l’illicéité du mode de preuve jugé probant par le Juge pénal.

 

Les attendus de la Cour sont limpides :

 


 

  1. Les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont au civil autorité absolue en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé. L’autorité de la chose jugée au pénal s’étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision.

 

  1. La cour d’appel ayant constaté que le licenciement était motivé par les faits de violences volontaires commis le 7 mars 2017, pour lesquels le salarié avait été condamné par le tribunal de police, c’est à bon droit qu’elle a décidé que l’autorité absolue de la chose jugée au pénal s’opposait à ce que le salarié soit admis à soutenir devant le juge prud’homal, l’illicéité du mode de preuve jugé probant par le juge pénal.

 


 

 

Eléments d’analyse

 

Il sera d’abord indiqué que cette solution n’est pas nouvelle, la Cour de cassation ayant déjà énoncé le principe de l’autorité absolue de la chose jugée au pénal et son champ d’application s’agissant de ce qui a été nécessairement jugé (Cass. Soc., 9 mars 2022, n°20-17.612).

 

Dans cet arrêt, sur la base de ce principe d’autorité absolue, la Cour de cassation se prononce sur la licéité du mode de preuve retenu par le Juge pénal et considère que cette licéité ne peut plus être contestée devant le Juge prud’homal, une fois que la décision au pénal est devenue définitive.

 

En pratique, cette solution a pour effet de vider de sa substance le principe selon lequel l’employeur ne peut pas, en principe, se prévaloir d’informations qu’il a collectées de façon illicite, à l’insu des salariés.

 

La Chambre sociale avait en effet posé le principe que la preuve de faits fautifs rapportée par le biais d’un dispositif clandestin ou mis en œuvre à l’insu des salariés était un moyen de preuve illicite.

 

A titre d’illustrations :

 

  • Concernant un système vidéo clandestin, filatures et surveillance par des agents de sécurité à l’insu des salariés (Cass. Soc., 15 mai 2001, n°99-42.219) ;

 

« Mais attendu que, si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut, ainsi qu’il résulte de l’article L.432-2-1 du Code du travail, mettre en œuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés ;

Et attendu, d’abord, qu’ayant relevé que la société X avait fait appel, à l’insu du personnel, à une société de surveillance extérieure à l’entreprise pour procéder au contrôle de l’utilisation par ses salariés des distributeurs de boissons et sandwichs, la cour d’appel a décidé à bon droit que le rapport de cette société de surveillance constituait un moyen de preuve illicite. »

 

  • Concernant des « lettres piégées » mises au point par La Poste (diffusion d’une encre bleue en cas d’ouverture) à l’insu du personnel (Cass. Soc, 4 juillet 2012, n°11-30.266) :

 

« Attendu cependant que si l’employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l’activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle clandestin et à ce titre déloyal ; 

Qu’en statuant comme elle a fait, alors que l’utilisation de lettres piégées à l’insu du personnel constitue un stratagème rendant illicite le moyen de preuve obtenu, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

 

Pour autant, l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet par le Juge prud’homal.

 

La Cour de cassation a en effet décidé que le Juge prud’homal conservait un pouvoir d’appréciation, devant mettre en balance le « droit au respect de la vie personnelle » et le « droit à la preuve », avant d’identifier une éventuelle atteinte au caractère équitable de la procédure (Cass. Soc., 10 novembre 2021, n°20-12.263, voir notre article sur cette décision) :

 

« L’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions susvisées, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. »

 

Dans la présente décision, la Chambre sociale en recourant à la notion « d’autorité absolue de la chose jugée au pénal », qui reste une approche assez extensive de cette autorité, opère donc une sorte d’unification des modes de preuve devant les juridictions civiles ou pénales.

 

Il sera rappelé qu’au pénal, sur le fondement de l’article 427 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation a en effet jugé de longue date qu’aucune disposition légale ne permet au Juge pénal d’écarter un moyen de preuve au seul motif qu’il aurait été obtenu de façon illicite ou déloyale, ce dernier devant seulement en apprécier la valeur probante (Cass. Crim., 6 avril 1994, n°93-82.717).

 

 

Pour lire l’arrêt publié sur le site de la Cour de cassation : cliquez ici