Nous poursuivons la revue de ce panorama des arrêts topiques rendus en 2021 par la Chambre sociale de la Cour de cassation portant sur l’exécution du contrat de travail et sa rupture, ainsi que sur les libertés et droits fondamentaux du salarié dans l’entreprise.

 

 

        

Par Hugues Wedrychowski et Camille Josse

 

 

 

11°/     Discrimination et délai prescription
Arrêt du 31 mars 2021, N°19-22.557

 

L’action en réparation d’une discrimination fondée sur des faits qui n’ont pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription est recevable.

 

Dans cette affaire, la situation de discrimination s’était poursuivie tout au long de la carrière de la salariée en termes d’évolution professionnelle, tant salariale que personnelle.

 

La Chambre sociale considère ainsi que les faits de discrimination n’ont jamais cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription.

 

La Cour de cassation aurait pu distinguer 2 périodes :

 

  • Une période prescrite, dont le point de départ est la dénonciation des faits de discrimination, situation corrigée par l’employeur (changement d’affectation à la suite de l’intervention de l’Inspection du travail) ;
  • Une période non prescrite en raison de la découverte par la salariée de nouveaux faits en 2008 (constat d’une différence de classification par rapport à d’autres salariés).

 

Cette distinction est refusée : ce n’est donc pas la découverte d’éléments probatoires qui enclenche le délai de prescription, mais la circonstance selon laquelle les effets de la discrimination continuent de se produire.

 

Un commentaire plus complet de cette décision vous est proposé dans une précédente Actualité.

 

 

12°/     Liberté religieuse et port du voile
Arrêt du 14 avril 2021, N°19-24.079

 

La Chambre sociale décide que « l’’attente présumée des clients d’un magasin d’habillement quant à l’apparence physique des vendeuses ne constitue pas une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » susceptible de justifier l’interdiction du port du voile islamique ».

 

Pour sa défense, la Société Camaïeu s’était explicitement placée sur le terrain de l’image de l’entreprise au regard de l’atteinte à sa politique commerciale, laquelle serait susceptible d’être contrariée par le port du foulard islamique par l’une de ses vendeuses.

 

Depuis l’arrêt Micropole et l’adoption de l’article L.1321-2-1 du Code du travail, l’employeur peut insérer dans son règlement intérieur (ou dans une note de service) une « clause de neutralité » interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail.

 

Une telle clause de neutralité n’est valable que si elle est :

 

  • Applicable de manière générale et indifférenciée à tout signe et à toutes les religions,
  • Justifiée par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise,
  • Proportionnée au but recherché (par exemple : si elle concerne les salariés en contact avec la clientèle).

 

En l’absence de clause de neutralité, le licenciement pour port du voile est « par nature discriminatoire ».

 

Dans cette affaire, l’entreprise n’avait pas adapté son règlement intérieur en y insérant une clause de neutralité.

 

Se plaçant sur le terrain de l’exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en arguant de « l’attente alléguée des clients sur l’apparence physique des vendeuses », la Cour de cassation rejette cette argumentation.

 

Une telle « attente » ne saurait selon la Chambre sociale constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante, au sens de l’article 4 § 1 de la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne.

 

En conséquence, le licenciement de la salariée, prononcé au motif du refus de celle-ci de retirer son foulard islamique lorsqu’elle était en contact avec la clientèle, qui était discriminatoire, devait être annulé.

 

 

13°/     Point de départ du délai de prescription de l’action en requalification du CDD en CDI
Arrêt du 5 mai 2021, N°19-14.295

 

La Chambre sociale statue pour la première fois sur le point de départ du délai de prescription applicable à l’action en requalification d’un CDD en CDI, sur le fondement de la violation par l’employeur du délai de carence de l’article L.1244-3 du Code du travail, entre deux CDD successifs.

 

Ainsi, lorsque le délai de carence entre deux CDD successifs n’est pas respecté, le point de départ de l’action en requalification est constitué par le 1er jour d’exécution du second contrat.

 

 

14°/     Égalité de traitement et transaction
Arrêt du 12 mai 2021, N°20-10.796

 

Aux termes de l’article 2044 du Code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.

 

Il en résulte qu’un salarié ne peut invoquer une atteinte au principe d’égalité de traitement pour revendiquer les droits et avantages d’une transaction conclue par l’employeur avec d’autres salariés pour terminer une contestation ou prévenir une contestation à naître.

 

La Chambre sociale casse et annule une décision d’une Cour d’appel qui avait condamné un employeur à payer à chaque salarié une somme au titre de son préjudice né de la violation du principe d’égalité de traitement, ainsi qu’une somme au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail, pour ne pas leur avoir proposé de protocole transactionnel comme il l’avait fait pour d’autres salariés.

 

La Cour d’appel avait considéré que les salariés se trouvaient dans une situation équivalente en termes d’ancienneté, de poste, de modification du contrat de travail pour raison économique avec les salariés bénéficiaires de l’indemnité transactionnelle.

 

La Chambre sociale a jugé que la Cour d’appel avait fait une fausse application du principe d’égalité de traitement et violé l’article 2044 du Code civil.

 

 

15°/     Égalité de traitement et transfert d’entreprise
 Trois arrêts du 23 juin 2021, N°19-21.772N°18-24.809N°18-24.810

 

Par trois arrêts du 23 juin 2021, la Cour de cassation a eu l’occasion de répondre à deux questions en matière d’égalité de traitement à l’occasion d’un transfert d’entreprise et considère que :

 

  • L’inégalité de traitement pouvant résulter d’un engagement unilatéral à la suite d’un transfert peut avoir un caractère licite.

 

En effet, une différence de traitement établie par engagement unilatéral ne peut être pratiquée entre des salariés de la même entreprise et exerçant un travail égal ou de valeur égale, que si elle repose sur des raisons objectives, dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence.

 

En l’espèce, l’employeur avait instauré une prime d’assiduité pour les salariés affectés sur un site à l’effet de réduire les disparités entre des salariés dont le contrat de travail avait été repris dans le cadre d’une garantie d’emploi et ceux recrutés postérieurement sur le même site et placés dans une situation identique.

 

Pour la Cour de cassation cette différence de traitement par rapport aux salariés d’un autre site de l’entreprise repose sur une justification objective et pertinente (N°19-21.772).

 

  • L’obligation à laquelle est tenu le nouvel employeur, en cas de reprise du contrat de travail d’un salarié d’une autre entreprise par application volontaire de l’article L.1224-1 du Code du travail, de maintenir à son bénéfice les droits qui lui étaient reconnus chez son ancien employeur au jour du transfert, justifie la différence de traitement qui en résulte par rapport aux autres salariés (N°18-24.809 et N°18-24.810).

 

En l’espèce, la Cour de cassation juge que le nouvel employeur était fondé à maintenir l’avantage du 13ème mois au seul bénéfice des salariés transférés, sans que cela constitue une atteinte prohibée au principe d’égalité de traitement.

 

 

16°/     Requalification du contrat de mission en CDI
Arrêt du 30 juin 2021, N°19-16.655

 

La Cour de cassation se prononce pour la 1ère fois sur le point de départ du délai de prescription applicable à l’action en requalification de contrats de mission en un CDI à l’égard de l’entreprise utilisatrice.

 

Ainsi, comme en matière de CDD, le délai de prescription biennale de l’action en requalification d’un contrat de mission en contrat de travail à durée indéterminée fondée sur le motif du recours au contrat de mission court à compter du terme de ce contrat ou du terme du dernier contrat si plusieurs contrats se sont succédés.

 

Au visa combiné des articles L.1471-1, L.1251-5 et L.1251-40 du Code du travail, la Chambre sociale décide que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un CDI prenant effet au premier jour de sa mission.

 

 

17°/     Délai de prescription applicable en fonction de nature de la créance invoquée
Quatre arrêts du 30 juin 2021, N°18-23.932N°19-10.161N°20-12.960N°19-14.543

 

La Cour de cassation pose pour principe que la durée de la prescription est déterminée par « la nature de la créance invoquée » et se prononce ainsi sur le délai applicable lorsque l’action est fondée sur :

 

  • L’invalidité d’une convention de forfait jours : l’action en paiement d’un rappel de salaire fondée sur l’invalidité d’une convention de forfait en jours est soumise à la prescription triennale prévue par l’article L.3245-1 du Code du travail (N°18-23.932).

 

  • Une demande de reclassification : la demande de rappel de salaire fondée sur une contestation de la classification professionnelle est soumise à la prescription triennale prévue par l’article L.3245-1 du Code du travail (N°19-10.161).

 

  • Une demande en requalification d’un contrat à temps partiel en contrat de travail à temps plein : la demande de rappel de salaire fondée sur la requalification d’un contrat à temps partiel en contrat de travail à temps complet est soumise à la prescription triennale de l’article L.3245-1 du Code du travail.

Dans cette décision, la Cour considère que l’action en requalification n’est qu’un moyen au soutien de la demande de rappel de salaire et non une demande à part entière, à la différence de l’action en requalification d’un CDD en CDI, qui est soumise à la prescription biennale de l’article L.1471-1 du Code du travail (N°19-10.161, précité).

 

  • Une inégalité de traitement : lorsque le salarié invoque une atteinte au principe d’égalité de traitement, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance. Ainsi, une Cour d’appel fait une exacte application de la loi, ayant constaté que la demande de rappel de salaire était fondée, non pas sur une discrimination mais sur une atteinte au principe d’égalité de traitement, en décidant que cette demande relevait de la prescription triennale (N°20-12.960).

 

  • Une discrimination : l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit par 5 ans à compter de la révélation de la discrimination. Les dommages et intérêts réparent l’entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée (N°19-14.543).

 

 

18°/     Travail à temps partiel et heures complémentaires
Arrêt du 15 septembre 2021, N°19-19.563

 

Par cet arrêt, la Chambre sociale répond à la question de savoir, si, s’agissant de l’exécution d’un contrat de travail à temps partiel dont la durée de travail est définie sur une base mensuelle, le dépassement de la durée légale de travail sur une seule semaine peut entraîner la requalification de ce contrat en un contrat de travail à temps plein.

 

La Cour répond par l’affirmative : si un salarié à temps partiel travaille plus de 35 heures au cours d’une semaine, son contrat doit être requalifié en contrat à temps plein, à compter de ce dépassement, même si la durée de travail prévue au contrat est mensuelle.

 

 

19°/     Vidéosurveillance et moyens de preuve
 Arrêt du 10 novembre 2021, N°20-12.263

 

Par cet arrêt, la Cour pose la question de la licéité d’une preuve provenant d’un dispositif de vidéosurveillance installé dans les locaux à des fins de sécurités des biens et des personnes, et non de contrôle de l’activité des salariés.

 

Au terme d’une jurisprudence constante, dès lors qu’un tel dispositif permet un contrôle de l’activité des salariés, il doit faire l’objet d’une information spécifique des salariés et du CSE.

 

Toutefois, la Chambre social énonce un principe important qui se décompose comme suit :

 

  • L’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 et des articles 6 et 8 de la CESDH, n’entraine pas nécessairement son rejet des débats,

 

  • Le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble,

 

  • En mettant en balance :
    • le droit au respect de la vie personnelle du salarié
    • et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié, à la condition
      • que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit
      • et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

 

Le juge peut ainsi se retrancher derrière le droit à la preuve pour reconnaître l’admissibilité d’éléments probatoires pourtant obtenus à partir d’un dispositif installé en méconnaissance des dispositions légales.

 

Il ne doit toutefois pas en résulter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie personnelle des salariés concernés au regard du but poursuivi.

 

 

20°/     Indemnité de préavis et licenciement en raison d’une absence prolongée pour maladie
Arrêt du 17 novembre 2021, N°20-14.848

 

En principe, le salarié incapable d’exécuter son préavis ne peut pas prétendre à l’indemnité de préavis.

 

Mais il en va différemment si son licenciement, motivé par les perturbations causées par son absence, est jugé sans cause réelle et sérieuse.

 

La Cour décide au visa de l’article L.1234-5 du Code du travail que lorsque le licenciement, prononcé pour absence prolongée désorganisant l’entreprise et rendant nécessaire le remplacement définitif de l’intéressé, est dépourvu de cause réelle et sérieuse, le juge doit accorder au salarié, qui le demande, l’indemnité de préavis et les congés payés afférents.