Si l’activité judiciaire fut quasiment à l’arrêt entre mars et juin 2020, la Cour de cassation a rendu tout au long de l’année 2020 plusieurs arrêts marquants et remarqués. Nous vous présentons ces arrêts topiques portant sur la qualification de la relation de travail, les conditions d’exécution du contrat de travail et sa rupture.

 

Par Hugues Wedrychowski et Camille Josse

 

 

1°/       Le délai de prescription de l’action en requalification du CDD en CDI
 Arrêt du 29 janvier 2020, N°18-15.359

 

Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 22 septembre 2017 laquelle a notamment modifié l’article L.1471-1 du Code du travail qui distingue désormais la prescription des actions :

  • portant sur l’exécution du contrat de travail (2 ans)
  • de celle des actions portant sur la rupture du contrat de travail (1 an)

 

Auparavant, le texte ne distinguait pas ces deux actions lesquelles étaient soumises à une prescription de 2 ans, une incertitude quant au délai de prescription applicable à l’action en requalification du CDD persistait.

 

En effet, sous l’empire du précédent texte, la Cour de cassation avait affirmé que l’action en requalification d’un CDD en CDI était soumise au délai de prescription de 2 ans de l’article L.1471-1 du Code du travail.

 

L’arrêt du 29 janvier 2020 met fin à cette incertitude.

 

La Cour de cassation affirme que l’action en requalification du CDI en CDI devait se rattacher aux actions portant sur l’exécution du contrat de travail, et qu’elle était donc soumise à la prescription de 2 ans.

 

En outre, dans cet arrêt, la Cour de cassation complète sa jurisprudence sur le point de départ du délai de prescription en jugeant que le délai de prescription d’une action en requalification d’un CDD en CDI fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée énoncé au contrat a pour point de départ :

  • le terme du contrat,
  • en cas de succession de contrats à durée déterminée, le terme du dernier contrat,

 

Par ailleurs, le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de se prévaloir d’une ancienneté remontant au premier contrat irrégulier.

 

 

2°/       La sanction de la nullité du licenciement lié à la grossesse
Arrêt du 29 janvier 2020, N°18-21.862

 

Tout licenciement prononcé à l’égard d’une salariée en raison de son état de grossesse est nul.

 

Dès lors qu’un tel licenciement caractérise une atteinte au principe d’égalité de droits entre l’homme et la femme, garanti par l’alinéa 3 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la salariée licenciée qui demande sa réintégration a droit au paiement d’une indemnité égale au montant de la rémunération qu’elle aurait dû percevoir entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont elle a pu bénéficier pendant cette période.

 

En principe, lorsque la nullité du licenciement est prononcée et que le salarié sollicite sa réintégration, ce dernier a le droit au paiement d’une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre :

  • son licenciement
  • et sa réintégration
  • dans la limite des salaires dont il a été privé.

 

Les revenus qu’il a pu tirer d’une autre activité professionnelle pendant la période correspondante ou le revenu de remplacement (allocations chômage) qui a pu lui être servi pendant la même période doivent être déduits de la réparation du préjudice subi.

 

Des exceptions à ce principe existent lorsque la nullité du licenciement a pour origine la violation d’une liberté ou d’un droit fondamental garanti par la Constitution.

 

La Cour de cassation considère ainsi que l’indemnité due au salarié a un caractère forfaitaire et que son montant ne peut pas être réduit du fait de la perception d’un revenu de remplacement ou d’une rémunération (Cass. soc. 2 février 2006, N°03-47.481 pour un licenciement prononcé en raison de l’exercice du droit de grève – Cass. soc. 2 juin 2010, N°08-43.277 pour un licenciement prononcé en raison des activités syndicales du salarié).

 

Le licenciement lié à la grossesse fait désormais partie de ces exceptions.

 

 

3°/       L’exercice d’une autre activité professionnelle pendant un arrêt maladie et obligation de loyauté
Arrêt du 26 février 2020, N°18-10.017

 

Pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie, l’exercice d’une autre activité professionnelle, pour le compte d’une société non concurrente de celle de l’employeur, ne constitue pas en lui-même un manquement à l’obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet arrêt.

 

Dans un tel cas, pour fonder un licenciement, l’acte commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail doit causer un préjudice à l’employeur ou à l’entreprise.

 

Ce préjudice ne saurait résulter du seul paiement par l’employeur, en conséquence de l’arrêt de travail, des indemnités complémentaires aux allocations journalières.

 

 

4°/       Lien de subordination et requalification en contrat de travail pour un travailleur indépendant
Arrêt « UBER » du 4 mars 2020, N°19-13.316

 

La Cour de cassation se prononce pour la seconde fois sur la nature du contrat liant un travailleur indépendant à une plateforme numérique de mise en relation avec des clients potentiels.

 

Il s’agit cette fois-ci d’un chauffeur VTC et de la plateforme UBER.

 

La Cour affirme de nouveau que l’existence d’un contrat de travail peut être établie lorsque les personnes physiques (chauffeurs VTC) fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci.

 

Pour le cas de la plateforme UBER, la Cour de cassation valide le raisonnement de la Cour d’Appel de PARIS qui a requalifié en contrat de travail la relation entre UBER et le chauffeur VTC utilisant cette plate-forme numérique, en retenant que :

 

1°)        Ce chauffeur a intégré un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par UBER, service qui n’existe que grâce à cette plate-forme, à travers l’utilisation duquel il ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs, ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport,

 

2°)        Le chauffeur se voit imposer un itinéraire particulier dont il n’a pas le libre choix et pour lequel des corrections tarifaires sont appliquées si le chauffeur ne suit pas cet itinéraire.

 

3°)        La destination finale de la course n’est parfois pas connue du chauffeur, lequel ne peut réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui lui convient ou non,

 

4°)        UBER a la faculté de déconnecter temporairement le chauffeur de son application à partir de trois refus de courses et que le chauffeur peut perdre l’accès à son compte en cas de dépassement d’un taux d’annulation de commandes ou de signalements de « comportements problématiques ».

 

Il se déduit de l’ensemble de ces éléments l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements.

 

Le statut de travailleur indépendant du chauffeur VTC était fictif et la relation doit être requalifiée en contrat de travail.

 

Pour lire la notice de la Cour de cassation sur cet arrêt : cliquer ici

 

 

5°/       La preuve des heures supplémentaires : nouvelles précisions sur le régime de la preuve partagée
Arrêt du 18 mars 2020, N°18-10.919

 

Dans cet arrêt rendu au lendemain du 1er confinement, la Cour de cassation décidé d’abandonner la notion « d’étaiement » (principe formulé depuis 2004 dans les termes suivants : « il appartient au salarié de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande »), en y substituant l’expression de « présentation par le salarié d’éléments à l’appui de sa demande ».

 

La Cour de cassation énonce que ces éléments doivent être « suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que le salarié prétend avoir accomplies » afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments, en mettant l’accent en parallèle sur les obligations pesant sur ce dernier quant au contrôle des heures de travail effectuées.

 

Il est enfin rappelé que, lorsqu’ils retiennent l’existence d’heures supplémentaires, les juges du fond évaluent souverainement, sans être tenus de préciser le détail de leur calcul, l’importance de celles-ci et fixent les créances salariales s’y rapportant.

 

Pour la Cour de cassation, les juges du fond doivent apprécier :

  • les éléments produits par le salarié à l’appui de sa demande
  • au regard de ceux produits par l’employeur
  • puis, dès lors que le salarié a produit des éléments factuels revêtant un minimum de précision,
  • se livrer à une pesée des éléments de preuve produits par l’une et l’autre des parties,
  • ce qui est en définitive la finalité du régime de preuve partagée prévu par l’article L.3171-4 du Code du travail.

 

La Cour d’appel avait porté son analyse sur les seules pièces produites en l’espèce par le salarié, qui versait aux débats des décomptes d’heures qu’il prétendait avoir réalisées, aboutissant ainsi à faire peser la charge de la preuve des heures supplémentaires exclusivement sur celui-ci.

 

La Cour de cassation censure ce raisonnement et marque ainsi sa volonté de contrôler le respect par les juges du fond du mécanisme probatoire propre aux heures supplémentaires.

 

Pour lire la notice de la Cour de cassation sur cet arrêt : cliquer ici

 

En 2021, la Cour de cassation a d’ailleurs conforté cette position dans un arrêt du 27 janvier, N°17-31.046.

 

Pour lire notre article présentant cet arrêt : cliquez ici

 

 

6°/       L’élément intentionnel et le harcèlement sexuel au travail
Arrêt du 25 mars 2020, N°18-23.682

 

L’autorité de la chose jugée au pénal s’impose au juge civil, y compris en matière de harcèlement sexuel.

 

Toutefois, la caractérisation de faits de harcèlement sexuel en droit du travail, tels que définis à l’article L. 1153-1-1° Code du travail, ne suppose pas l’existence d’un élément intentionnel.

 

Par conséquent, la Cour de cassation considère que c’est à bon droit qu’une Cour d’appel a retenu que la décision du juge pénal, qui s’était borné à constater l’absence d’élément intentionnel, ne privait pas le juge civil de la possibilité de caractériser des faits de harcèlement sexuel de la part de l’employeur.

 

Le juge prud’homal peut dès lors se prononcer sur la nullité du licenciement au visa de l’article L.1153-2 du Code du travail qui interdit de licencier un salarié « pour avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel », même si l’auteur du harcèlement a été relaxé par une juridiction pénale.

 

 

7°/       Possibilité de recourir à la prise d’acte pour un contrat de travail à durée déterminée ?
Arrêt du 3 juin 2020, N° 18-13.628

 

Selon l’article L.1243-1 du Code du travail, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme, en cas :

  • d’accord entre les parties,
  • de faute grave,
  • de force majeure
  • d’inaptitude constatée par le médecin du travail.

 

Dans cette affaire, une Cour d’appel, prenant en considération les manquements invoqués par le salarié à l’appui de la rupture anticipée du CDD et analysant cette rupture anticipée à l’initiative du salarié au regard de l’article L.1243-1 précité, peut décider qu’elle était justifiée par les manquements de l’employeur dont elle a fait ressortir qu’ils constituaient une faute grave.

 

Le salarié avait saisi un conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail à durée déterminée puis avait “pris acte” de la rupture du contrat.

 

La Cour de cassation affirme que la rupture d’un contrat à durée déterminée à l’initiative du salarié ne peut pas être qualifiée de prise d’acte.

 

Cependant, l’arrêt reconnait implicitement que la lettre de « prise d’acte » du salarié a produit des effets juridiques puisqu’elle a emporté rupture immédiate du contrat à durée déterminée pour faute grave imputée à l’employeur.

 

La Cour de cassation confirme que le juge prud’homal peut tirer les conséquences de manquements graves de l’employeur pour considérer que le CDD est rompu pour faute grave aux torts de l’employeur.