La Cour de cassation rappelle l’obligation d’établir le lien de causalité entre le fait d’avoir subi ou refusé de subir un harcèlement moral et d’avoir été licencié pour cette raison pour pouvoir déclarer le licenciement nul.
Dans un arrêt du 9 avril 2025 (N°24-11421), la Chambre sociale énonce que pour déclarer un licenciement nul au visa de l’article L.1152-3 du Code du travail il est nécessaire que le salarié ait subi ou refusé de subir ce harcèlement moral et que les juges du fond aient caractérisé que le licenciement était motivé par le fait que le salarié a subi ou refusé de subir ce harcèlement. À défaut, la nullité du licenciement n’est pas encourue.
Le lien de causalité à établir entre le harcèlement et le licenciement lié à ce harcèlement est souvent négligé dans le débat judiciaire : cet arrêt se révèle donc particulièrement intéressant que les deux évènements coexistent sans lien : le salarié a subi un harcèlement mais a été licencié pour des raisons totalement étrangère à cette situation de harcèlement.

 

 

Par Hugues Wedrychowski

 

 

Les faits

 

La salariée d’une banque, engagée en 1990 avait successivement occupé les fonctions d’Assistante en organisation, puis Directrice d’agence avant d’être nommée Responsable de projet en 2017.

 

Une procédure de licenciement avait été engagée en octobre 2018 et donné lieu à la notification d’un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

 

Soutenant avoir subi un harcèlement moral pour avoir été mutée dans deux établissements éloignés, sur des fonctions subalternes et avec un préavis de quelques jours, et confrontée à la multiplication des investigations concernant l’agence dont elle était auparavant la directrice, ainsi que le prononcé d’une mise à pied à titre conservatoire dont l’employeur avait finalement admis le caractère infondé, la salariée avait saisi la juridiction prud’homale en 2019 en contestation de la validité du licenciement et paiement de dommages-intérêts.

 

La salariée soutenait que le licenciement était intervenu dans un contexte de harcèlement moral et qu’il encourait la nullité.

 

La Cour d’appel a déclaré le licenciement nul, constatant que la salariée avait établi des faits permettant de laisser supposer un harcèlement moral et que l’employeur n’établissait pas que les agissements invoqués étaient étrangers à tout harcèlement.

 

L’employeur a formé un pourvoi soutenant que la Cour d’appel en déduisant ainsi la nullité du licenciement d’une situation de harcèlement moral préexistante, sans constater que la salariée aurait été licenciée pour avoir subi ou refusé de subir un harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés, avait privé sa décision de base légale au regard des articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail.

 

 

La position de la Cour de cassation

 

La Chambre sociale donne tort à la Cour d’appel et infirme l’arrêt critiqué.

 

La Cour de cassation rappelle dans sa décision que, pour que le licenciement d’un salarié harcelé moralement soit nul, il faut :

 

    • que les juges du fond aient établi une situation de harcèlement moral,

et

    • que le salarié ait été licencié pour avoir subi ou refusé de subir ce harcèlement moral.

 

Si ce n’est pas le cas, le licenciement ne sera pas nul malgré le contexte préexistant.

 

L’articulation limpide du raisonnement de la Cour de cassation est le suivant :

 


 

Vu les articles L.1152-2, dans sa version antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, et L.1152-3 du code du travail :

 

  1. Selon le premier de ces textes, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
  1. Aux termes du second, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L.1152-1 et L.1152-2 du code du travail, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
  1. Pour dire que le licenciement est nul, l’arrêt retient que la salariée établit des faits permettant de laisser supposer un harcèlement moral puis que l’employeur n’établit pas que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement et que les dispositions de l’article L. 1152-3 du code du travail s’appliquent.
  1. En se déterminant ainsi, sans caractériser le fait que la salariée avait été licenciée pour avoir subi ou refusé de subir un harcèlement moral, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

 


 

En l’espèce, la cour d’appel avait retenu le premier critère de la grille d’analyse en constatant l’existence d’un harcèlement moral dont la salariée avait été victime.

 

Toutefois, elle avait omis de caractériser le second critère, à savoir le lien de causalité entre cette situation de harcèlement et le licenciement prononcé.

 

Dans cette affaire, une alternative se présentait donc aux Juges du fond :

 

    • Soit le motif disciplinaire invoqué constituait un simple prétexte et il appartenait alors à la juridiction de démontrer que le véritable motif du licenciement résidait dans la situation de harcèlement moral, afin de pouvoir en déduire la nullité du licenciement ;

 

    • Soit le motif disciplinaire était effectivement à l’origine du licenciement, auquel cas il convenait d’en apprécier le bien-fondé : s’il était établi, le licenciement devait être jugé fondé sur une cause réelle et sérieuse ; à défaut, il devait être qualifié de dépourvu de cause réelle et sérieuse, sans pour autant entraîner la nullité du licenciement.

 

Pour finir, il sera rappelé que le débat du bien-fondé du licenciement n’empêche pas le salarié victime de harcèlement moral de réclamer l’indemnisation du préjudice résultant d’une telle situation.

 

 

Pour lire l’arrêt sur le site de la Cour de cassation : cliquer ici