La Cour de cassation a rendu tout au long de l’année 2021 plusieurs arrêts marquants et remarqués. Nous vous présentons ces arrêts topiques portant sur la qualification de la relation de travail, les conditions d’exécution du contrat de travail et sa rupture.

 

 

        

Par Hugues Wedrychowski et Camille Josse

 

 

 

1°/       Forfait en jours (annulé) et jours de repos (remboursés)
Arrêt du 6 janvier 2021, N°17-28.234

 

L’employeur peut réclamer le remboursement des jours de repos accordés en application d’une convention de forfait en jours privée d’effet.

 

La Cour de cassation, après avoir jugé que le non-respect des règles conventionnelles de suivi de la charge de travail fixées par l’accord collectif privait d’effet une convention de forfait en jours, a décidé que le paiement des jours de repos est devenu indu pour la durée de la période de suspension de la convention de forfait en jours.

 

Sur le fondement de l’action en répétition (remboursement) de l’indu, l’employeur est bien-fondé à réclamer le paiement des jours de RTT pris précédemment par le salarié.

 

Cette jurisprudence avantageuse pour l’employeur doit désormais être utilisée pour atténuer (en partie) les conséquences financières de la remise en cause d’une convention de forfait, notamment le paiement d’heures supplémentaires.

 

Un commentaire plus complet de cette décision vous est proposé dans une précédente Actualité.

 

 

2°/       Nullité du licenciement : Demande de réintégration (plus que) tardive et limitation du rappel de salaires
Arrêt du 13 janvier 2021, N°19-14.050

 

En cas de licenciement nul, le salarié qui sollicite sa réintégration a droit au paiement d’une indemnité égale au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration.

 

Toutefois, le salarié qui présente de façon abusive sa demande de réintégration tardivement (5 ans après son licenciement en l’espèce) n’a droit, au titre de cette nullité, qu’à la rémunération qu’il aurait perçue du jour de sa demande de réintégration à celui de sa réintégration effective.

 

La Chambre sociale applique ainsi pour l’ensemble des licenciements nuls (quels que soient les motifs invoqués) une solution énoncée en 2013 pour le licenciement nul en raison de la violation du statut protecteur (Cass. Soc. 26 mars 2013, N°11-27.996).

 

 

3°/       Les conséquences de la prolongation irrégulière d’une période probatoire
Arrêt du 20 janvier 2020, N°19-10.962

 

Pour la première fois, la Chambre sociale se prononce sur les conséquences d’une prolongation irrégulière de la période probatoire par l’employeur.

 

Dès lors qu’un accord d’entreprise prévoit que l’affectation à un poste de responsabilité supérieure est assortie d’une période probatoire et que, durant ou à l’issue de cette période, le salarié ne donnant pas satisfaction sera réintégré dans le même emploi ou un emploi similaire à celui antérieurement occupé, à l’expiration de la période probatoire, le salarié qui n’a pas été réintégré dans son ancien emploi ou un emploi similaire à celui antérieurement occupé est promu définitivement dans son nouveau poste.

 

 

4°/       Résiliation judiciaire du contrat de travail et demande de nullité du licenciement
Arrêt du 27 janvier 2021, N°19-21.200

 

La Cour de cassation a déjà jugé que lorsque la prise d’acte de la rupture du contrat de travail ou la résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement nul, le salarié qui en a pris l’initiative ne peut pas obtenir la réintégration dans son emploi (29 mai 2013, N°12-15.974 pour la prise d’acte ; 3 octobre 2018, N°16-19.836 pour la résiliation judiciaire)

 

Par cette décision, au visa des articles L.1235-3 du Code du travail et 1184 du Code civil, la Chambre sociale considère qu’un salarié qui demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la nullité de son licenciement au cours d’une même instance ne peut pas obtenir, si cette nullité est prononcée, sa réintégration dans l’entreprise.

 

 

5°/       Le régime probatoire des heures supplémentaires : la preuve partagée est confortée
Arrêt du 27 janvier 2021, N°17-31.046

 

La Cour de cassation rappelle que si le salarié doit fournir des éléments suffisamment précis, la juridiction saisie ne doit pas faire peser sur lui seul la charge de la preuve des heures supplémentaires.

 

Ainsi, l’employeur doit toujours répondre aux éléments produits par le salarié et fournir ses propres éléments, notamment ceux par lesquels il assure le contrôle des heures de travail effectuées.

 

Reprenant la solution dégagée dans son arrêt du 18 mars 2020 (N°18-10.919), la Chambre sociale explicite le contrôle qu’elle exerce sur la notion “d’éléments suffisamment précis” quant aux heures de travail que le salarié prétend avoir accomplies.

 

S’agissant d’une obligation découlant de l’article 6 du Code de procédure civile, relatif à l’obligation d’alléguer les faits nécessaires au succès des prétentions, et non de l’article L.3171-4 du Code du travail, relatif à la preuve des heures travaillées, la note explicative de l’arrêt rappelle que la précision des éléments produits par le salarié doit être examinée au regard de cet objectif d’organisation du débat judiciaire.

 

Cette précision n’est ni de la même nature, ni de la même intensité que celle qui pèse par ailleurs sur l’employeur dans le cadre de son obligation de contrôle de la durée du travail.

 

La Cour de cassation rappelle ainsi qu’elle ne peut avoir pour effet de faire peser la charge de la preuve des heures accomplies sur le seul salarié, ni de contraindre ce dernier à indiquer les éventuelles pauses méridiennes qui auraient interrompu le temps de travail.

 

Un commentaire plus complet de cette décision vous est proposé dans une précédente Actualité.

 

 

6°/       Délai de recours contre une décision de prise en charge d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle
Arrêt du 18 février 2021, N°19-25.886

 

En l’absence de texte spécifique, l’action de l’employeur tendant à contester l’opposabilité ou le bien-fondé de la décision d’une caisse primaire d’assurance maladie de reconnaissance du caractère professionnel d’un accident, d’une maladie ou d’une rechute est au nombre des actions qui se prescrivent par cinq ans en application de l’article 2224 du Code civil.

 

La Cour de cassation rappelle que ni l’indépendance des rapports entre, d’une part, la caisse et la victime et d’autre part, la caisse et l’employeur, ni le particularisme du recours ouvert à l’employeur pour contester la décision d’une caisse primaire de reconnaître le caractère professionnel d’un accident, d’une maladie ou d’une rechute ne justifient que ce recours ne puisse constituer une action en justice et que, dès lors, il ne soit pas soumis à un délai de prescription.

 

Sur cette base, la Chambre sociale considère qu’en l’absence de texte spécifique, l’action de l’employeur aux fins d’inopposabilité de la décision de la caisse de reconnaissance du caractère professionnel de l’accident, de la maladie ou de la rechute est au nombre des actions qui se prescrivent par cinq ans en application de l’article 2224 du Code civil.

 

 

7°/       Preuve du harcèlement moral : enquête de l’employeur
Arrêt du 17 mars 2021, N°18-25.597

 

Lorsque l’employeur est informé de faits supposés de harcèlement moral, il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser ces faits.

 

Dans un premier temps, il est conseillé à l’employeur de diligenter une enquête.

 

Tarder à agir ou ne rien faire est une faute, en violation de l’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l’employeur. Agir trop précipitamment, sans rechercher des preuves sérieuses, en est aussi une.

 

Dans cet arrêt, la Chambre sociale considère que la preuve obtenue au moyen d’une enquête confiée par l’employeur à une entreprise spécialisée en prévention des risques psychosociaux à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral n’est pas déloyale, même si le salarié mis en cause n’en a pas été informé, ni même entendu dans le cadre de cette enquête.

 

La Cour rappelle qu’une enquête effectuée au sein d’une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral n’est pas soumise aux dispositions de l’article L.1222-4 du Code du travail.

 

Une telle enquête ne constitue pas une preuve déloyale comme issue d’un procédé clandestin de surveillance de l’activité du salarié.

 

 

8°/       Recours contre l’avis du Médecin du travail
Avis du 17 mars 2021, N°21-70.002

 

L’article L.4624-7 du Code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017, dispose que le salarié ou l’employeur peut saisir le Conseil de prud’hommes, selon la procédure accélérée au fond, d’une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le Médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L.4624-2 et suivants du Code du travail

 

Interrogée sur la question de savoir si le Juge prud’homal peut annuler l’avis d’un Médecin du travail qui n’aurait pas respecté les procédures prévues par le Code du travail, la Cour de cassation répond par la négative.

 

Le Conseil de prud’hommes statuant sur la procédure prévue à l’article L.4624-7 du Code du travail n’est pas compétent pour connaître de l’irrespect, par le Médecin du travail, des procédures et diligences prescrites par la loi et le règlement, notamment celles-issues des articles L.4624-4 et R.4624-2 du Code du travail.

 

La Chambre sociale rappelle que la contestation « doit porter sur l’avis du Médecin du travail » : cette contestation doit donc porter sur le sens même de l’avis exprimé par le Médecin du travail.

 

 

9°/       Inaptitude et refus d’un poste de reclassement
Arrêt du 24 mars 2021, N°19-21.263

 

Si un salarié est déclaré inapte, l’employeur est en principe tenu de faire connaître au salarié, par écrit, les motifs qui s’opposent au reclassement lorsqu’il est dans l’impossibilité de lui proposer un autre emploi.

 

En revanche, si le salarié refuse un autre poste approprié à ses capacités qui lui est proposé par l’employeur dans les conditions prévues à l’article L.1226-10 du Code du travail, ce dernier n’a pas à lui notifier, par écrit, les motifs s’opposant à son reclassement avant d’engager la procédure de licenciement.

 

 

10°/     Licenciement lié à une absence prolongée et délai pour le remplacement définitif du salarié licencié
Arrêt du 24 mars 2021, N°19-13.188

 

Selon une jurisprudence constante, l’absence prolongée ou les absences répétées d’un salarié pour raisons de santé d’origine non professionnelle autorisent son licenciement lorsqu’elles perturbent le fonctionnement de l’entreprise, sous la condition que ces perturbations nécessitent son remplacement définitif.

 

Le remplacement définitif du salarié doit être effectué avant ou après le licenciement.

 

Au jour du licenciement, doit être caractérisée la nécessité d’un remplacement définitif.

 

Si le remplacement intervient après le licenciement, la Cour de cassation indique que ce dernier doit avoir lieu dans un « délai raisonnable » (15 novembre 2006, N°04-48.192).

 

Dans cet arrêt du 24 mars 2021, la Chambre sociale juge qu’un délai de 6 mois entre le licenciement d’une directrice d’association absente de manière prolongée pour maladie et son remplacement définitif est raisonnable eu égard aux démarches immédiatement engagées par l’employeur pour recruter un nouveau salarié et à l’importance du poste à pourvoir.